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Commentaire littéraire (Jean de la Bruyère, Les Caractères, De l'homme)

Par   •  18 Février 2018  •  2 530 Mots (11 Pages)  •  1 596 Vues

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2. Un homme sans gêne ni scrupule

Certes, Gnathon est un personnage riche, qui a des valets et voyage en carrosse, cependant, cette aisance ne fait qu'exacerber un caractère insupportable. Il s'approprie tout ce qui l'entoure, y compris ce qui n'est pas à lui, comme le souligne le champ lexical de la possession avec les termes : « maître », « se conserver » ou la répétition de propre : il « fait son propre de chaque service », « tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre ». Ainsi, il se comporte presque en voleur, s'accaparant aussi bien les plats que les objets ou même les valets des autres. Par ailleurs, il exige pour lui-même ce qu'il y a de mieux. La thématique de l'espace revient régulièrement dans le texte. L'adjectif ordinal : « la première place », la négation exceptive : « il n'y a […] que les places du fond qui lui conviennent » et la répétition du superlatif : « il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit » mettent en valeur le fait que non seulement Gnathon occupe l'espace sans aucune gêne mais qu'en plus il lui faut systématiquement une place de choix, au détriment des autres. Pour cela, Gnathon est d'ailleurs prêt à mentir comme le suggère implicitement et très ironiquement l'incise suivante : « dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse ». Ainsi, le personnage n'a aucun scrupule à s'octroyer ce qu'il y a de mieux et à mépriser tous ceux qui l'entourent, ne songeant qu'à son intérêt propre. Il révèle par là même un repli essentiel sur lui-même.

II. Un être égocentrique

1. L'égocentrisme

Le comportement sans gêne et répugnant de Gnathon trouve son origine dans un égocentrisme profond. Le portrait de La Bruyère met clairement en valeur ce trait en répétant comme un leitmotiv lancinant le pronom personnel sujet « il » par lequel s'ouvrent, de façon anaphorique, quasiment toutes les phrases du texte : « Il ne se sert à table que de ses mains », « Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés », « Il mange haut », et les déterminants possessifs qui sont également très nombreux : « son propre », « ses restes », « sa chambre ». Dans bon nombre de phrases, il n'est question que de lui, il est le seul être humain évoqué. En outre, le texte est construit sur un réseau d'oppositions qui soulignent le contraste entre Gnathon et les autres. Le singulier du personnage s'oppose au pluriel, aux « conviés », aux « autres », à « tous les hommes ». Le début du texte comporte ainsi deux antithèses successives mettant en évidence d'emblée l'égocentrisme du personnage : « tous les hommes sont à son égard comme s'ils n'étaient point », « il occupe lui seul celle [la place] de deux autres ». Gnathon se distingue donc en permanence des autres, il ne songe qu'à lui, ne vit que pour lui et reste profondément indifférent au sort d'autrui.

2. L'indifférence à autrui

L'égocentrisme de Gnathon le conduit à ignorer les intérêts des autres. Le texte s'ouvre et se clôt sur des négations restrictives à cet égard très significatives et révélant bien le solipsisme du personnage : « Gnathon ne vit que pour soi », il « ne connaît de maux que les siens », « n'appréhende que la sienne [mort] ». La présence des autres, leur importance et leur existence mêmes finissent par être niées par Gnathon. La mention des autres s'accompagne souvent de l'usage de négations, en particulier dans la dernière phrase qui présente une énumération de verbes niés : il « ne se contraint pour personne, ne plaint personne, […] ne pleure point la mort des autres ». D'ailleurs, cette dernière phrase est construite sur une gradation : La Bruyère commence par affirmer que Gnathon se moque de gêner les autres pour finir par remarquer que non seulement il ne se soucie pas de la mort des autres, mais même qu'il « n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain ». L'hyperbole, particulièrement choquante, fait ici écho au tout début du texte qui déjà niait l'existence des autres, « comme s'ils n'étaient point ». La boucle semble bouclée, le portrait est définitivement centré sur un unique personnage, à l'exclusion de tout autre, comme pour bien symboliser l'égocentrisme absolu d'un être qui ne se préoccupe que de lui. Le moraliste livre ici une satire particulièrement vive de ce genre d'individu.

III. Un portrait charge

1. Une caricature

Le moraliste est absent de son texte, il ne prend jamais directement la parole en son nom et se contente d'utiliser parfois le pronom personnel indéfini « on », comme dans « on le suit à trace ». Cependant, sa critique de Gnathon n'en reste pas moins une satire acerbe. Souvent le portrait tombe dans la caricature. Les accumulations de verbes mais aussi les nombreux pluriels et indéfinis à valeur généralisante, en particulier avec la répétition de tous ou tout : « tous les hommes », « essayer de tous », « il voudrait pouvoir les savoir tous », « tout à la fois » visent à accentuer la critique de Gnathon en exagérant les défauts de son caractère et en leur donnant une dimension presque absolue. Le texte s'achève sur une hyperbole frappante lorsque l'auteur déclare que Gnathon préférerait « l'extinction du genre humain » à sa propre mort. La caricature est également perceptible dans le portrait de Gnathon à table, La Bruyère le présente grimaçant de façon exagérée et ridicule : « il roule les yeux en mangeant » et la métaphore du râtelier accentue encore la charge satirique de la description. Ce caractère bestial de Gnathon contraste d'ailleurs de façon également comique avec son prétendu malaise s'il ne voyage pas à la meilleure place : « il pâlit et tombe en faiblesse ». La caricature, en forçant les traits de Gnathon, permet au moraliste de donner une portée générale à son texte.

2. L'indétermination

Le portrait de Gnathon n'est pas tant celui d'un personnage que d'un vice, l'égocentrisme. Le nom de fiction à consonance grecque − Gnathon − ne vise pas tant à masquer l'identité d'un contemporain de La Bruyère qu'à abstraire le personnage d'un

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