Un Parricide, Maupassant

...

« J’ai voulu les tuer » a un caractère déraisonnable et démentiel tout en soulignant paradoxalement le caractère apparemment, conscient, volontaire et même quelque peu « prémédité » du meurtre.

Le « on n’en put tirer davantage » par le caractère perfectif du passé simple scelle le secret dans le silence et rappelle le « on allait abandonner l’affaire » quelques lignes plus haut. Nous sommes au cœur d’une enquête à rebondissements, une nouvelle à suspense.

L’idée de folie qui naît de cet aveu, de cette enquête tronquée ou manque le mobile reviendra en leitmotiv tout au long de la première partie et jouera un rôle dans la cohérence du récit.

Une grande partie est réservée à la plaidoirie de l’avocat qui repose d’ailleurs sur la folie, grand ressort de la nouvelle. Cette plaidoirie a des assises historiques, politiques et sociales qui reposent principalement sur les événements de La Commune de Paris, événements sanglants et souvenirs douloureux (1871) .L’insurrection est réprouvée par la presque totalité des écrivains dont Maupassant qui donne ici à ce mouvement anarchique l’image d’une folie collective d’autant plus dangereuse qu’elle est contagieuse. L’avocat donne sa version des faits (qui sera démentie par la suite) pour lui .Il s’agirait d’après l’avocat (qui manque de clairvoyance et qui n’en sait pas plus que le lecteur) d’antagonisme social accru par une démagogie adopté par les républicains. Nous garderons surtout de cette plaidoirie le sème de la folie qui amène une sorte d’indulgence « des murmures d’approbations coururent ». La folie a donné la seule explication possible au meurtre, elle suscite l’indulgence du tribunal et c’est elle qui fera parler le personnage. Elle jouera le rôle de tremplin au métarécit. C’est justement parce que l’accusé ne veut pas aller « dans une maison de fous » qu’il parlera enfin pour donner un mobile au parricide et un sens à ce qui avait semblé jusqu’à lors insensé. Le refus de passer pour un aliéné n’est qu’un prétexte pour répondre à la curiosité du lecteur.

Arrivé à ce stade de charnière entre la première séquence et la deuxième, une question nous vient à l’esprit : Quel rôle joue la plaidoirie de l’avocat d’un point de vue narratologique ?

Elle sert clairement le retardement narratif et présente ici une forme de digression même si elle permet implicitement à Maupassant d’exprimer, chemin faisant, son opinion sur La Commune. Le retardement ou la réticence à livrer l’information se manifeste sur plusieurs plans dans la première séquence afin de rallonger l’espace dilatoire entre le nœud et le dénouement. Le silence opiniâtre de l’accusé va de pair avec le mutisme volontaire du texte (et même dans la deuxième séquence là où on se croit à même de connaître la vérité, elle se fait attendre (« se fait désirer »)

L’enquête ne faisait rien découvrir

« Le Bourgeois vient se constituer prisonniers »

« Il ne répondit que ceci » (restriction)

« Je les ai tués parce que j’ai voulu les tuer » (absence de rapport logique associant la cause à la conséquence »

« On n’en put tirer autre chose. » (phrase négative)

«On sentait bien que la cause était gagnée par l’avocat »

« Je vais tout vous dire »

Pas de mobiles, pas de témoins, pas d’aveu ; l’affaire pourrait être classée

L’enquête est résolue

Information insuffisante

L’avocat a su rendre compte de la situation.

L’accusé est fou

Le crime est sans mobile.

Tout le discours de l’avocat est remis en cause.

Tout le récit « se trame » avec ses rebondissements nous induisant à des diagnostics qui s’avèrent faux ou tronqués rendant la vérité insaisissable, fuyante. L’information livrée sciemment par le narrateur est soit incomplète (L’aveu de l’accusé) soit erronée (la folie supposée de l’accusé) ce qui fait que les soubassements du raisonnement de l’avocat sont pourfendues (la folie en étant la pierre angulaire)

Pareil pour la pause descriptive où le temps de l’histoire se fige (TH=0), elle participe entre autres à ce ralentissement général qui impatiente le lecteur et mène la tension à son paroxysme.

Ceci dit, l’attente du lecteur semble être sur le point d’être satisfaite par la phrase prometteuse qui clôt la première séquence « Je vais tout vous dire » qui nous renvoie au métarécit ou récit enchâssé où se fera la révélation..

Deuxième séquence : Tout le métarécit est une plaidoirie, cette fois-ci de l’accusé lui-même. Il s’agit du genre judiciaire selon les genres oratoires définis par Aristote (Il est prononcé devant des juges dans le but de convaincre. Il est appuyé essentiellement sur des faits passés. On accuse ou défend ou les deux comme dans cette nouvelle…)

C’est la partie la plus longue de la diégèse puisqu’on a affaire à une scène ; c’est-à-dire que le TR=TH. Il y a de ce fait une concomitance entre les deux. Le temps de la lecture coïncide presque parfaitement avec le temps couvert par le discours de l’accusé. La stratégie de désinvestissement réinvestissement narratif permet au narrateur de s’effacer. La non-prise en charge énonciative débouche sur le réinvestissement dans le discours afin d’observer de près le mouvement intérieur du personnage et permet une descente dans son drame intime.

La première phrase de la séquence semble être le clou du texte. C’est là où le titre acquiert son sens.

Le « j’ai tué cet homme et cette femme parce qu’ils étaient mes parents » ne donnent pas encore la réponse escompté et ressemble au premier aveu « Je les ai tués parce que j’ai voulu les tuer » ; dans les deux cas, la logique cause/ effet n’est pas respecté. Plus encore ce nouvel aveu semble aussi dérangeant parce que bâti sur un paradoxe. Un rapport de concession (qu’on appelle aussi conséquence inattendue) aurait mieux valu dans ce cas. L’information n’est pas livrée et nous n’avons qu’une précision