Loreley, Apollinaire
Par Orhan • 10 Septembre 2018 • 2 536 Mots (11 Pages) • 653 Vues
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anaphoriques v .17/19/20 « mon cœur », des répétitions de fin de vers : v.17/18 « que je meure » ; des répétitions au début de chaque hémistiche : v.23 « va » ; des répétitions d’un même mot : v.10 « jetez jetez » ; v.32 « Loreley Loreley » ; v.9/10/11 « flammes ». On peut noter encore la richesse des effets vocaliques quasi constant entre le voyelles chantantes [i], [è], et les sons de nez [an], [on], ou les allitérations en « r » et « eries » etc.
La longueur du vers paraît s’assouplir pour permettre une prononciation proche de la prose. C’est à dire proche de la poésie orale traditionnelle.
L’ensemble donne l’impression d’une simplicité qui a la séduction de la rengaine. La ballade est portée par le rythme curieusement régulier de la versification, et la nature élégiaque du poème apparaît sur le fond d’allitération en [r] qui tient tout le morceau.
3. Un destin tragique
Le poème forme un cycle : il débute avec « mourir d’amour » et l’héroïne se donne finalement la mort « tombe dans le Rhin ».
Il s’agit d’une mort tragique qui n’est pas sans rappeler les tragédies grecques. Le fatum, la fatalité, la volonté irrévocable des dieux est présente : la Loreley ne peut rien contre son destin « Faites-moi donc mourir » v.16 c’est dans ces véritables répliques de tragédie racinienne que la plainte s’exprime avec les accents les plus touchants.La Loreley est un être parfait « Ô belle Loreley » apostrophe qui rappelle également la tradition grecque.
Elle est d’abord un personnage victime des préjugés de son siècle. Accusée d’être une sorcière, elle a pour seul tort d’être belle, condamnée comme une femme adultère (le couvent), elle est en fait une amante abandonnée. C’est une héroïne romantique, mais sans doute d’un romantisme tardif, presque exagérée. Elle est toute entière centrée sur son « cœur » comme le souligne la double anaphore de « mon » et de « mon cœur » justement au cœur du poème. « Jetez, jetez » : elle est consciente du danger qu’elle représente et n’y peut pourtant rien changer. Elle se châtie donc elle-même « Elle se penche alors ». C’est un personnage pathétique qui attire la pitié.
4. Récit ancré dans la réalité germanique,
Le décor, les personnages et cette Loreley sont d’aspiration allemande et font référence à des faits réels comme l’Inquisition « Qu’un autre te condamne ».
Ce poème met également à son service le mythe de l’amour fou et de la beauté fatale « Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde » ; « mes yeux sont maudits » ; « tu m’as ensorcelé » ; « Mon cœur me fait si mal ».
On remarque un parallèle avec Narcisse qui s’est noyé en admirant son reflet « pour me mirer une fois encore dans le fleuve ».
Les références sérieuses à la légende rhénane et aux tragédies grecques : l’élégie, la fatalité, et le rappel du destin de Narcisse (Loreley est elle aussi condamnée par sa beauté) font de ce texte un récit mythologique très musical et compréhensible par tous, mais extrêmement tragique par le destin de son personnage principal. On peut d’ailleurs se demander qui est réellement cette Loreley insondable.
II. Un personnage idéalisé au service d’un aveu personnel
1. Un être idéalisé
La Loreley est une sorcière « femme en démence », et Apollinaire en fait un symbole de passion mortelle « une sorcière blonde qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde ».
Sa puissance est exacerbée : l’évêque est incapable de la condamner, et plus que cela, il refuse qu’un autre le fasse, il est fou d’amour « Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley qu’un autre te condamne » : ce vocabulaire lyrique et l’apostrophe en font une passion qui semble exacerbée, irréelle.
Le champ lexical de la sorcellerie« flammes » ; « pierreries » ; « sorcellerie » ; « magicien » et les métaphores « ses yeux couleur du Rhin et ses cheveux de soleil » accentuent son pouvoir destructeur. Sa puissance par sa beauté est totalement mise en avant.
La présence du vocabulaire religieux comme « évêque », « Vierge », « Dieu », « nonne » renforcent son pouvoir car elle a su séduire un évêque, et il en est incapable de la mener au bûcher. Elle est plus forte que la religion, symbolisée par l’évêque et vaincue par la passion.
Son destin tragique et le malheur causé par sa beauté suggèrent au même titre une idéalisation du personnage : elle est trop parfaite, sa beauté dépasse l’entendement et son pouvoir surpasse le commun des mortels et la religion elle même « Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley ». Elle atteint les astres, les divinités, c’est une sorte de « demi-déesse » envoyée sur Terre car son pouvoir surpasse tout.
2. Une beauté ambiguë :
La Loreley est à la fois victime et coupable ; ange et démon. Son ambiguïté est soulignée par de nombreuses antithèses comme « sorcière blonde » (les sorcières sont brunes dans l’inconscient collectif) ; « de noir et blanc » et oppositions « des flammes et non des pierreries ». Ces contradictions accentuent aux yeux des lecteurs le malheur de la Loreley, déchirée par ce qu’elle est (sa beauté est maléfique : paradoxe). C’est un personnage insondable malgré son désespoir.
Sa beauté est très appuyée par Apollinaire « qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde ». Les métaphores et comparaisons offrent une dimension incommensurable (jusqu’aux astres « ses yeux brillaient comme des astres ») à sa beauté et son charme, au sens propre : elle est ensorcelante.
3. Une histoire personnelle :
« La Loreley » apparaît donc au milieu des Rhénanes comme l’expression de cette rencontre bienvenue entre une culture et son tumulte intérieur, plein d’élans contradictoires vers des objets du désir, féminins et esthétiques, qui lui échappent encore. Il y a une grande théâtralité, c’est un texte très vivant en dépit de l’absence de ponctuation : l’espace est idéal, tout est exacerbé, les images défilent sous nos yeux, on a une impression de cris, de mouvements, de précipitation : tout est extrême, c’est un cri du cœur, un aveu d’Apollinaire. L’impuissance de l’évêque face à l’amour semble en effet être une incarnation d’Apollinaire « l’absolvit à cause de sa
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