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Littératures francophones, réflexion sur l'identité

Par   •  12 Octobre 2018  •  3 105 Mots (13 Pages)  •  703 Vues

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D'une part le narrateur exprime clairement sa rebellion contre sa mère et de nombreux éléments montrent aussi que l'auteur met en exergue un autre type de résistance nécessaire, celle contre l'oppresseur. Doit-on voir dans les institutions opprimantes culturelles et coloniales les représentations sociales de la mère? Pourquoi pas, l'auteur fait bien dire à Haroun que la mère est la moitié du monde. La révolte s'élargit alors de la mère à ces représentations sociales; il y aurait d'abord ce qui opprime dont l'origine se trouve dans la culture autochtone, caractérisé tout au début du texte et introduite par l'invective impérative à la destination du lecteur: "Imagine un peu cette femme". Puis ce qui opprime dont la source est coloniale et les moyens mis en place pour lutter sont identiques à ceux utilisés contre la mère: Comme première étape il faut d'abord discerner et comprendre l'oppresseur et les caractéristiques de son oppression. Le mot résistance évoque toutes ses personnes qui ont pris le stylo pour dénoncer ou questionner (ce que fait l'auteur dans ses chroniques et aussi dans son roman), ceux qui ont pris les armes et le maquis pour refuser la soumission. L'époque des faits du récit relaté par Haroun correspond justement à la révolte des habitants natifs de l'Algérie française contre les colons, "les roumis " qui ne donnent que de quoi survivre aux colonisés et soumis qui travaillent pour eux. Les roumis annihilent l'identité du peuple par la pression économique en créant une situation de soumission, de famine et d'infériorité sociale.

Peut-être l'auteur veut-il nous faire comprendre que l'ignorance de l'histoire de cet arabe dans le roman de Camus, participe à l'œuvre coloniale de désidentification du peuple? Le roman de Kamel Daoud se présente clairement en contre point à L'étranger de Camus: Haroun interpelle le lecteur en exprimant qu'il comprend le héros du lecteur qui "s'attarde plutôt sur sa mère que sur son frère". Qui est donc ce héros? L'auteur joue avec ce personnage polymorphe dans le roman, d'abord il est le responsable de la mort du frère de Haroun, celui qui a tué l'arabe sans nom et sans histoire sur une plage ensoleillée dans L'étranger. L'auteur donne à nouveau un regard compréhensif à Haroun. Le héros est aussi celui qui a dépersonnalisé le frère de Haroun dans L'étranger, autrement dit Camus l'écrivain. Cela apparaît à la fin du roman où on apprend que le héros a écrit un fameux roman dans lequel se trouve le meurtre de l'arabe toujours sans nom ni visage. Ici encore, Haroun comprend les auteurs de ses malheurs mais refuse toujours la soumission et les conséquences de la mort de son frère ainé: "une mort qu'au fond j'ai toujours refusé de subir" (l 13), par là, il refuse que cet arabe demeure anonyme, il témoigne de l'histoire de cet arabe, en parlant de sa famille, des conséquences du meurtre et surtout rappelle son prénom Moussa. En somme, l'auteur montre que la résistance de Haroun est profonde et globale. Dans L'étranger, Moussa n'est personne, juste un arabe, comme un animal dans un cheptel. En lui refusant une identité, on refuse aussi de le reconnaître en tant qu'être humain avec une culture propre, ce qui est justement la marque de la colonisation qui soumet le peuple colonisé. Cet arabe est le motif central du récit de Haroun et à travers ce jeu de miroirs et de doubles, l'auteur montre qu'un individu ou un peuple soumis perd peu à peu son identité et ce n'est que dans le refus et la révolte qu'il peut se libérer de l'oppression et reconstruire son identité. Le récit de Haroun est donc un moyen de redonner une identité au peuple que l'on a fait disparaître en donnant une dénomination générique "l'arabe" à un individu unique, en confondant le peuple à la personne. C'est encore un des jeux de l'auteur de réfléchir l'identité individuelle dans celle collective et inversement. Il montre ainsi que faire perdre une identité n'est pas anodin, par cela on fait perdre raison au fondement de notre personne, et cela peut atteindre aussi l'identité collective. Dans ces processus de perte et de (re)construction de soi, l'auteur aborde aussi un des outils originels de la structuration de l'individu: La langue.

La langue est notre premier outil de communication avec notre environnement immédiat et la mère participe à nous lier à la langue qui est la sienne, donc à nous relier à notre environnement. Il s'agit de nos premiers apprentissages fondamentaux et première élaboration individuelle. Mais avec les problèmes psychiques d'une telle mère présentée dans le roman, quels rapports Haroun a-t-il pu construire avec la vie et avec lui même?

D'abord, l'auteur exprime l'importance de cet outil, le substantif "langue" est répété quatre fois. Il est aussi présent sous forme de pronom et de synonyme.

Puis l'auteur développe les rapports qu'entretient le narrateur avec la langue. En effet, le narrateur énumère diverses qualités de la langue maternelle (l 35): "...riche, imagée, pleine de vitalité, d'improvisations...". Cela rejoint un certain lien positif que le narrateur a su construire avec sa mère et avec sa langue maternelle. L'auteur montre ainsi que les liens maternels ont d'abord nourri le monde qu'appréhendait Haroun. Pour les psychanalystes, l'étude de ces liens est un moyen de comprendre les comportements d'une individualité dès l'origine de sa structuration.

Cependant cette construction ne semble pas uniquement positive pour Haroun puisqu'il termine l'énumération des qualités de sa langue maternelle par un défaut de précision. Elle ne peut donc l'aider à voir clair en lui.

Une langue maternelle imprécise utilisée d'ailleurs par la mère pour transformer une réalité trop douloureuse: "Elle mentait...pour corriger le réel et atténuer l'absurde qui frappait son monde et le mien" (l 21 et 22). C'est donc un outil dont elle se servait aussi pour exprimer sa souffrance et manipuler proches et visiteurs: "Avec cette langue, elle parla comme un prophète, elle recruta des pleureuses..."

Le narrateur associe sa langue maternelle à la folie de sa mère et il explique qu'il a dû se défendre contre sa folie en apprenant une autre langue: "une langue capable de faire barrage entre le délire de ma mère et moi" (l 32).

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