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Lecture analytique des canible

Par   •  6 Février 2018  •  2 725 Mots (11 Pages)  •  701 Vues

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En vivant selon la nature, les sauvages nous rappellent qu’elle est la mère nourrice des hommes. Montaigne rappelle aussi que suivre la na- ture, c’est suivre le bien et la raison. En effet, les besoins naturels sont li- mités ; en les satisfaisant, les hommes se rendent heureux et gardent en toutes choses la mesure et la modération : « Ils sont encore en cet heu- reux point, de ne désirer qu’autant que leurs nécessités naturelles leur ordonnent ». Le mode de vie qui semble le mieux convenir aux hommes est donc celui qui se rapproche le plus de l’état de nature.

c) Le tableau de l’âge d’or Cet ordre naturel n’est pas sans évoquer le mythe de l’âge d’or, exposé par Hésiode, poète grec du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, et transmis par la culture classique. Ce mythe suppose qu’aux ori- gines l’homme vivait dans un état paradisiaque, jouissant de tous les bonheurs de la nature en même temps que d’une éternelle jeu- nesse ; il suppose également la régression de l’humanité à cause des progrès techniques. Après cet âge d’or viennent, nous dit Hé- siode, l’âge d’argent, puis de bronze, puis de fer...

La référence à l’âge d’or sous-tend toute l’évocation du monde amérin- dien, dans le deuxième paragraphe, qui en reprend tous les aspects : – une nature généreuse : « la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût même excellente à l’envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture » ;

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– le règne de la vertu : « Leur guerre est toute noble et généreuse, […] elle n’a autre fondement parmi eux, que la seule jalousie de la vertu » ; – l’abondance et la suffisance qui évite le labeur : « ils jouissent encore de cette uberté29 naturelle, qui les fournit sans travail et sans peine » ; – la concorde entre les êtres : « Ils s’entr’appellent généralement ceux de même âge frères : enfants, ceux qui sont au-dessous ; et les vieillards sont pères à tous les autres » ; – l’absence de propriété, de lois : « Ceux-ci laissent à leurs héritiers en commun cette pleine possession de biens par indivis, sans autre titre que celui tout pur que nature donne à ses créatures ». De ce fait, on s’aperçoit que cette représentation idéale est moins le produit d’une enquête qu’une présentation utopique30 : il s’agit pour Montaigne, en représentant le Nouveau Monde, de proposer un modèle propre à repenser la notion de culture. La remise en cause du langage On s’aperçoit d’ailleurs que l’auteur n’hésite pas à remettre en cause l’outil de son discours, en proposant de redéfinir les mots courants ; la répétition du verbe appeler dans le sens de « nommer », « désigner » souligne cette extension du doute au langage : – « chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage », où l’oppo- sition des formes verbales permet d’introduire le doute dans l’acte de nommer. – « Ils sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits, que nature de soi et de son progrès ordinaire a produits : là où à la vérité ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice, […] que nous devrions appeler plutôt sauvages ». Montaigne a ici recours à la répétition d’un mot avec un sens différent (ce qu’on appelle une anta- naclase), de façon à bousculer les assurances occidentales. – « Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous ». Montaigne fait là une concession feinte à la thèse adverse (ils ne sont pas érudits, il leur manque une formation intellectuelle), de façon à renforcer son accusa- tion de la cruauté des Occidentaux. Le lecteur est ainsi appelé à remettre en cause ses conceptions en re- venant au sens même des mots : ainsi de la définition de barbarie, qu’il faut dépouiller de sa connotation principale, héritée de l’Antiquité, c’est- à-dire de son association avec la violence, la décadence. Plus encore, Montaigne introduit ici le lecteur dans une réflexion philosophique. Le langage apparaît comme un instrument de notre subjectivité, non plus comme une certitude divine31.

29. uberté : abondance. 30. Le chapitre II de la séquence développera cette notion d’utopie. 31. Rappelons en effet que, dans La Genèse , la création est l’effet de la parole divine et que l’homme est amené à désigner par leur nom tous les êtres vivants (Gen. 2, 20).

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L’essai se propose donc de passer les idées et les mots à la pesée : c’est le sens du terme exagium qui constitue l’ancêtre du mot « essai ». Cette remise en question est, rappelons-le encore, un ébranlement profond des convictions forgées par l’Europe à la Renaissance. La culture acquise par Montaigne nourrit un esprit fortement critique qui lui permet de mettre en doute ce que cette culture est devenue depuis l’Antiquité : il y a là un paradoxe qui ouvre une nouvelle philosophie, le scepticisme. On l’associe souvent à Montaigne ; il caractérise une attitude qui n’hésite pas à douter de tout.

3 Le déploiement rhétorique : convaincre et persuader La liberté affichée dans la pensée et le discours va de pair avec une or- ganisation rhétorique rigoureuse, qui soutient le propos et son caractère profondément novateur. Montaigne entend dialoguer avec son lecteur, mais aussi le convaincre et le persuader.

a) Une démonstration ferme L’organisation générale du chapitre, dont sont livrés ici deux extraits, suit une organisation rhétorique classique : – dans les trois premières phrases, Montaigne expose sa thèse dans une formulation claire et provocatrice pour son temps (sous une forme paradoxale donc) : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » ; il réfute également le préjugé européen : « il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation » ; – la suite du premier paragraphe développe l’opposition entre nature et culture, qui se fait aux dépens de la complexité de la culture ; – dans le second paragraphe, le tableau des « cannibales » vient confirmer la proposition théorique en soutenant la supériorité de l’état de nature sur la culture comme le confirme l’oxymore «une merveilleuse honte». Montaigne adopte ici une démarche déductive : il expose sa thèse, puis en démontre la validité. Ce type de démarche n’est pas constant dans les Essais : l’auteur y a recours lorsqu’il aborde un sujet sensible, où il sait rencontrer

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