Le Père Gauriot, Honoré de Balzac, 1835. Description de la pension de Vauquer.
Par Ramy • 15 Juin 2018 • 7 738 Mots (31 Pages) • 733 Vues
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Vautrin est également un homme qui a su tirer parti de ses innombrables expériences.Son habileté. L’exemple de la dextérité manuelle, la remise en état des serrures, a té visiblement choisi en fonction de sa valeur prémonitoire très évidente. Le rythme enlevé de la phrase, construite en juxtaposition de participes passés, marque bien l’agilité dans la manipulation : « Si quelque serrure allait mal, il l’avait bientôt démontée, rafistolée, remontée… ». Au-delà du mouvement des mains, ces mains redoutables que l’on voit en action, on sent l’efficacité d’un homme qui règle vite les problèmes, qui tranche, agit et va de l’avant dans le concret et dans la vie.Le champ de son savoir est très large; l’expérience, tel est sans doute le trait dominant d’un personnage qui a bourlingué. Beaucoup de naturel dans la succession des traits avec ce « Il connaissait tout d’ailleurs », qui enchaîne sur un propos habituel à Vautrin, « Ca me connaît ». Ensuite, le portrait avance avec une vivacité spontanée, construit sur une énumération en cascade de substantifs pour marquer la multiplicité de ses informations : « les vaisseaux, la mer, la France, les affaires, les hommes, les évènements, les lois, les hôtels et les prisons ».
Essayons de classer des divers registres de cette diverse expérience :
- d’abord, on regroupe «les vaisseaux, le mer, la France, l’étranger » : ces termes marquent le mouvement, Vautrin n’est pas un sédentaire, il connaît des pays, il a couru le monde, il a mené une vie aventureuse;
- ensuite, on rapproche « les affaires, les hommes, les évènements » : ce n’est pas un contemplatif, ni homme d’étude, mais un praticien, il a été mêlé aux choses et aux gens, en acteur fortement impliqué;
- enfin, on réunit « les lois, les hôtels et les prisons » : ici apparaît son originalité, il a réfléchi à l’ordre social, il a eu affaire avec la loi; il a vécu en itinérant, sans domicile permanent, et peut-être a-t-il connu la prison.
IV Le regard :
Le regard est analysé comme une voie d’accès vers l’âme; on déchiffre l’homme Vautrin en lisant dans ses yeux, où l’on perçoit deux choses : La détermination, la fermeté du caractère : « un certain regard profond plein de résolution ». L’impression est confirmée par une observation annexe qui marque chez le narrateur le souci du détail pour faire vrai : « A la manière dont il lançait un jet de salive, il annonçait un sang-froid imperturbable qui ne devait pas le faire reculer devant un crime… ». L’imputation paraît un peu aventureuse, établie sur un indice aussi minime. Mais le narrateur est fort bien informé de la suite et il nous livre une piste de lecture.Son pouvoir scrutateur, sa pénétration, sa perspicacité : « son œil semblait aller au fond de toutes les questions, de toutes les consciences, de tous les sentiments », au fond des choses et des gens. Le regard constitue pour Vautrin un moyen privilégié d’investigation des êtres, il devinera aisément Rastignac.
V Les contrastes du personnage :
Ce portrait nous est donné comme une énigme à déchiffrer, il contient des indices par lesquels le narrateur prépare le dévoilement futur du personnage.Les indices révélateurs sont manifestes si l’on relit le portrait à la lumière de ce que l’on apprendra plus tard sur Vautrin, de son vrai nom Jacques Collin, bagnard évadé travesti en bourgeois inoffensif : premier signe d’un possible déguisement, cet homme « à favoris peints » vise la dissimulation et non la simple coquetterie. Sa façon d’être manifeste un effort pour adoucir la rudesse naturelle du visage par des matières plus engageantes : « sa figue… offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes ». Ainsi le personnage maintient-il l’équilibre rassurant. Le même effort tend à atténuer la voix au son grave par l’humeur gaie : « sa voie de basse-taille, en harmonie avec sa grosse gaîté ». Enfin, rapprochons les expressions antithétiques : « Il était obligeant et rieur » et « ses obligés seraient morts plutôt que de ne pas le lui rendre ». Et continuons la comparaison être l’air et le regard : « tant, malgré son air bonhomme, il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de résolution ».
L’arrière-plan des comportements peut aussi se déchiffrer derrière ce portrait.De mystérieuses activités. L’homme est très occupé à l’extérieur, le centre de gravité de sa vie se situant hors de la pension : « Ses mœurs consistaient à sortir après le déjeuner, à revenir pour dîner, à décamper pour toute la soirée, et à rentrer vers minuit… ». Il est indépendant et dissimulé, il jouit d’un statut particulier, le passe-partout dont il disposé seul et qui constitue un moyen de liberté et de discrétion.Une fausse bonhomie. La curieuse affection qu’il déploie à l’égard de la propriétaire « qu’il appelait maman en la saisissant par la taille » s’interprète comme une sage précaution : elle est la maîtresse de maison, il capte sa bienveillance en homme qui, se sachant de redoutables ennemis à l’extérieur, cherche des alliés et assure sa sécurité dans le monde clos de la pension. Il se fait aussi passer pour débonnaire et un peu niais en courtisant la pesante veuve.
L’apparence d’un bon vivant. Par le douceur du gloria (café mêlé d’eau-de-vie), Vautrin se pose en client généreux, il arrange les affaires de la tenancière en consommant en simple mortel qui a sa petite faiblesse, un bon vivant sans beaucoup de volonté se donnant comme tout le monde une jouissance de bouche bien anodine, alors qu’en réalité ses centres d’intérêt se situent dans une sphère bien supérieure.
On a dons pu déceler, dans l’éclairage rétrospectif de ce que l’on apprend plus tard, une part de calcul dans les façons d’être de ce pensionnaire aux mœurs en apparence si ordinaires.
Conclusion
Ce passage du Père Goriot est à la fois un portrait et un élément romanesque important, puisqu’on y livre au lecteur des indices sur le passé mystérieux de Vautrin, et des dignes annonciateurs du coup de théâtre que sera son arrestation. Vautrin est un personnage massif, visuellement présent dans sa force. Il est doté d’une configuration physique qui est un spectacle et que l’on gardera en mémoire pour bien « voir » la grande scène de son arrestation. Ce portrait remplit donc une fonction essentielle du roman, donner l’impression de la réalité.Force physique et détermination morale. Cette présence du personnage
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