La Modification - Michel Butor - L'Incipit (+ définition du Nouveau Roman)
Par Ramy • 16 Octobre 2018 • 2 156 Mots (9 Pages) • 800 Vues
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a connaissance de son histoire et la transmet, tandis que l’emploi de « vous » implique que le narrateur progresse en même temps que le lecteur dans son histoire sans en connaître la suite. Il voulait réduire la distance entre le personnage et le lecteur : « Vous avez mis (…) vous essayez (…) ». « Vous vous introduisez (…) votre valise (…) »
Le « vous » s’adresse au lecteur qui a le désir d’échanger sa vie, ses faiblesses et ses défauts… Le « vous » fusionne le lecteur au narrateur. (réduction de la distance)
Le personnage se parle à lui-même dans une semi-conscience car la conscience absolue lui est pas encore venue. D’ou ces phrases extrêmement longues (parataxe), qui sont la forme des méandres de sa pensée.
Le « vous » est associé à des verbes d’action conjugué au passé composé qui renvoie à une action qui vient juste d’avoir lieu (« l’avoir porté » l.10) et au présent (ce qui rend la scène plus vivante) pour évoquer des actions courtes qui semblent se dérouler en même temps que la lecture, ce qui facilite la fusion lecteur/ personnage.
B. Une description non traditionnelle
1. Cet incipit ne remplit pas les fonctions attendues d’un incipit
Son identité n’est pas révélée. Il a des enfants (l.27) donc est probablement marié (il prononce les prénoms d’Henriette et Cécile, on saura plus tard que Henriette est bien sa femme et Cécile, sa maitresse)
Peu d’indications spatiales : on sait juste que le personnage se rend à Rome
Peu d’indications temporelles : on sait juste que l’action a lieu le matin mais pas d’année, ni de saison
Il travaille pour Scabelli (l.38), Marnal doit être son assistant (l.35) donc il est peut-être cadre ou directeur.
2. Importance des sensations physiques
Le début est in media res, le lecteur est propulsé dans le corps du personnage en action : il est dans un compartiment de train qui l’emmène à Rome déplacement) et le lecteur n’a aucune informations sur les raisons de ce départ.
Le personnage n’a pas de nom (plus loin, on connaitra ses initiales marqués sur sa valise puis le lecteur apprendra son nom un peu plus tard)
Pas de portrait physique/pictural : le personnage emploie un « langage oral », il emploie des connecteurs il s’adresse au lecteur comme il se parle de à lui-même : « Non, ce n’est pas seulement (…), c’est déjà l’âge (…) d’atteindre seulement (…) (ligne 16-20)
Le lecteur a accès aux sensations du personnage et non à ses pensées, et cela est renforcé par l’emploi de « vous » : Le champs lexical du corps est très présent:
« pied gauche », « épaule droite », « vos doigts » « vos muscles et vos tendons, « vos phalanges, votre paume, votre poignet et votre bras », « votre épaule », » « toute la moitié du dos » « vos vertèbres », « depuis votre cou, jusqu’au reins » (l. 1-15)
« paupières sensibles et mal lubrifiées », « vos tempes crispées », « votre corps » (l.20-31)
Le lecteur ressent avec lui, les pénibles efforts qu’il doit faire pour entrer dans le compartiment : « vous essayez en vain »,(l.2) « vous l’arrachez » (l.8) et sa sensation d’épuisement car il vieillit :
le personnage énumère sa difficulté à soulever sa valise l.10-15
« faiblesse inhabituelle » l.17
« c’est déjà l’âge qui cherche à vous convaincre de sa domination sur votre corps » l.18
« vos cheveux qui se clairsèment et grisonnent» l.24
Il est habitué aux voyages, comme il en témoigne l.7-8
3. Description qui s’attarde sur les détails : image par image
Les objets ont beaucoup d’importance, sont décrits avec précision.
« la rainure de cuivre » l.1 / « panneau coulissant » l.3 / « l’étroite ouverture » l.4 / « la valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d’épaisse bouteille » l.5-6 / « poignée collante »
Longue énumération des parties du corps, description minutieuse : « vous phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et dans vos vertèbres depuis votre cou jusqu’aux reins » l.11-15
-> Les mouvements sont décomposés minutieusement par une succession de gros plan.
D’abord les doigts, la paume, le poignet, le bras, l’épaule, le dos… ce qui accentue cet effet de description image par image ou les sens sont sollicités.
Les sensations et les objets éclipsent presque notre héros, qu’on pourrait qualifier plus justement d’anti-héros.
II. Le personnage de nouveau roman
Les personnages du Nouveau Roman se détachent des romans traditionnels, ce ne sont plus des héros légendaires, avec une identité, une intrigue, un milieu… C’est un support neutre. Par ailleurs, ce personnage tient plus de l’anti-héros.
A. Le portrait d’un anti héros
La présentation de cet homme prenant de l’âge et faible physiquement en détaillant son moindre geste, comme au ralenti appuie sur la pénibilité de ses actions et permet de faire des hypothèses sur sa psychologie :
« vous essayez en vain »,(l.2) « vous l’arrachez » (l.8)
« vos cheveux qui se clairsèment et grisonnent» (l.24)
Le simple fait de soulever sa valise lui demande beaucoup de mal : « vos doigts qui se sont échauffés , si peu lourde qu’elle soit, de l’avoir porté jusqu’ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vos tendons se dessiner » (l.9-11)
« cette faiblesse inhabituelle, c’est déjà l’âge qui cherche à vous convaincre de sa domination sur votre corps » (l.17-18)
Le protagoniste apparait comme banal, mal réveillé, on pourrait presque avoir pitié
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