CNED - La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation, du XVIe siècle à nos jours
Par Stella0400 • 10 Février 2018 • 2 828 Mots (12 Pages) • 731 Vues
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d’une altérité radicale : en fin de compte ni lui-même ni les autres ne peuvent comprendre ce que sont les vrais nations, les vrais peuples et qu’il est inutile d’essayer d’y arriver. Il a donc un regard très critique vis-à-vis de l’idée traditionnelle du voyage et de l’exotisme qui relève souvent du cliché réduit aux palmiers et au sable fin.
Pour l’auteur, l’exotisme ne renvoie pas seulement aux pays lointains et aux contrées pittoresques, mais à tout ce qui est de l’ordre de l’expérience du divers et de l’altérité. Il s’agit donc pour lui de purifier cette notion de tout ce qui pourrait encore la rattacher à l’histoire coloniale et au tourisme de masse : le pouvoir de l’exotisme n’est pas la fascination du lointain, mais la capacité de comprendre ce qui est autre que nous. Cela engage, bien entendu, une vision très singulière de soi même dans la mesure où l’identité ne peut être conçue comme ce qui absorberait l’altérité en la réduisant à soi, mais au contraire, comme ce qui impose à notre identité cette confrontation avec une altérité radicale. Enfin, cet exotisme définit ou réduit au sentiment du divers n’autorise aucune connaissance, aucune compréhension, bien au contraire, il s’agit de prendre conscience de l’altérité ou de la différence radicale des autres cultures et de jouir de cette différence.
Dissertation :
Le voyage a toujours eu une place importante dans la vie de l’homme, le désir de la découverte du monde qui l’entoure a toujours été présent, on peut le voir par exemple dans d’anciens récits où via de grands explorateurs du XVIe siècle, ceux-ci racontent les moindres détails de leur voyage ou via ce « tourisme de masse » que connaît le monde d’aujourd’hui. C’est ce qui a intéressé le célèbre ethnologue Lévi-Strauss comme on peut le voir dans l’incipit de Tristes Tropiques « Pour l’ethnologue, le voyage n’est pas un but : c’est un moyen, un moyen indispensable, et ce qui compte, ce n’est pas du tout le côté touristique mais ce que nous rapportons de connaissances et d’informations ». Nous pouvons nous demander quel est le sens du voyage pour les voyageurs, les touristes « basiques » ou ceux qui lisent des récits de voyage. On peut s’interroger sur le fait qu’il change notre vision, sur le côté divertissant de l’exotisme ou aussi sur la raison pour laquelle les écrivains racontent leurs voyages à travers leurs récits. Toutefois, le sujet invite avant tout à se demander en quoi le voyage -quelle qu’en soit le but et la forme- peut non seulement changer notre
vision du monde mais aussi la vision que nous avons de nous-mêmes et c’est ce paradoxe -partir pour se découvrir- qui permet de comprendre la place prépondérante du récit de voyage dans la littérature, à commencer par l’épopée de l’Iliade et l’Odyssée. Il nous faudra donc successivement réfléchir sur la nature et les limites des effets du voyage sur cette transformation de notre conception du monde et de notre conception de nous-mêmes.
Une majorité dira que le tourisme n’est qu’un loisir, un divertissement, un moyen de distraction pour oublier les soucis de la vie de tous les jours devenu pesante ou monotone. Ainsi le tourisme serait l’équivalent pour les temps modernes de ce que l’otium était dans la culture antique, à savoir un temps de loisir, de vacance où l’individu peut, après son travail et les efforts qu’il requiert, se consacrer seulement à lui-même. Cependant, l’extension voire la massification du tourisme pose le problème délicat de savoir s’il permet toujours cette culture de soi-même ou s’il ne devient pas une part comme une autre de l’industrie même si l’on parle de « tourisme culturel ».
En effet, de nos jours, il est de plus en plus facile de voyager, surtout avec les nombreux transports dont nous disposons, ce qui ouvre donc accès a énormément de diversités à travers le monde et à toutes formes d’exotismes relativement « bon marché ». Voilà pourquoi le voyage s’est transformé en loisir comme un autre, ce qui lui fait sans doute perdre une grande partie de sa saveur. Ajouté à cela le fait que la plupart des touristes d’aujourd’hui ne chercheront pas en priorité la découverte de l’autre, mais plutôt à se détendre. Une détente attendue pendant toute l’année, une récompense après l’expérience d’un quotidien devenu trop ennuyeux. C’est donc devenu pour la plupart un moyen de fuir soi-même. On voit donc qu’on est loin d’un idéal de découverte de soi-même par la confrontation avec d’autres cultures et l’industrialisation du tourisme entraînant une standardisation des structures touristiques laisse peu d’opportunités à une réelle expérience de l’altérité mais offre plutôt un dépaysement fugace et confortable.
C’est sans doute pour cela que la plupart des destinations choisies seront des pays exotiques.
Les pays exotiques présentent plusieurs avantages : celui du climat agréable, chaud, de sentir dépaysé et de profiter des diverses activités proposés par des agences de tourisme. Ces voyageurs cherchent donc durant un court moment, à échapper à toute prise de responsabilité. Ils réduisent l’exotisme à un plaisir, oubliant les dimensions humaines et la découverte de l’autre et de son mode de vie. Tout en étant dans un pays lointain, ils ne rencontrent pas les autochtones et ne voient pas d’autres paysages que ceux de leur club de touriste ou ceux aperçus lors de quelques excursions. Même au XVIIIe siècle, le vieillard de Diderot reproche déjà, à Bougainville de ne pas voir les Tahitiens et de ne pas savoir regarder leurs qualités : « Regarde ces hommes ; vois comme ils sont droits, sains et robustes. Regarde ces femmes ; vois comme elles sont droites, saines, fraîches et belles ». Victor Segalen conseille aussi de ne pas réduire l’exotisme à cela: il ordonne de « jeter par-dessus bord tout ce que contient de mesuré et de rance ce mot d’exotisme.
Il faut le dépouiller de tous ses oripeaux : le palmier et le chameau [...] soleil jaune ; et du même coup se débarrasser de tous ceux qui les employèrent avec une faconde niaise ». Bref, cet exotisme calibré et standardisé offre peu de chance à un véritable voyage et encore moins à la production d’un récit littéraire, mais bien plutôt à de pâles clichés d’horizons lointains qui seront bien
vite oubliés.
C’est ce que Lévi-Strauss condamne lorsqu’il évoque le voyage qui n’a pas d’autre but que lui-même et qui n’est que « touristique » dans le mauvais sens du terme. On pourrait s’étonner qu’un
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