Fiche de lecture: Le bon gouvernement, Pierre Rosanvallon
Par Ramy • 22 Mai 2018 • 3 484 Mots (14 Pages) • 885 Vues
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Si de nombreux régime ont connu l’avènement d’un parlementarisme qui freine l’exécutif, ce dernier n’a pas pour autant disparu. Rosanvallon constate en effet son retour à partir du XXème siècle. Ce retour est notamment favorisé par l’extension du suffrage universel mais aussi par les impératifs imposés par la guerre qui remettent en exergue l’importance d’une autorité capable de commander. Enfin les politiques publiques influent de plus en plus sur l’économie ce qui peut souvent échapper à la loi. Gouverner c’est désormais afficher un projet qui prend compte du spécifique et qui oublie le général de la loi. De manière concomitante se développe l’administration qui est un outil efficace du pouvoir exécutif. Bertrand de Jouvenel, penseur du XXème siècle, décrivait un passage à une téléocratie c’est à dire une évolution d’une suprématie de la loi à une suprématie du but. Le pouvoir exécutif a toujours été pensé, de Bertrand Barère en passant par les penseurs du nazisme et du fascisme, une vision de l’exécutif fort a été développée. Nous pouvons ici citer René Capitant et d’autres gaullistes qui réclamaient un exécutif fort nécessaire au développement de la démocratie face à l’instabilité des régimes parlementaires que la France a connus.
Comme Rosanvallon le note, ce renforcement de l’exécutif passe par une tendance à la présidentialisation des régimes. Après deux expériences pionnières qui n’ont pas été de francs succès (la IIIème République en France et la République de Weimar en Allemagne qui ont respectivement abouti à un césarisme et à la dictature nazie), la figure de l’exécutif consacrée par le suffrage universel s’impose (même dans les régimes parlementaires rationalisés). Charles de Gaulle impose par la suite un président élu, pratique qui se répand par la suite dans le monde (même si pratiquée au États-Unis depuis plusieurs siècles). Ce changement n’est pas sans opposition. De nombreux politiciens ou penseurs sont effrayés quant au retour d’un exécutif fort. En 1974, le politologue Maurice Duverger note même l’existence de « monarchies républicaines » qui consacrent un homme ou une femme par le suffrage universel. Le temps de l’exécutif relayé au second plan semble alors fini. Cette transformation semble répondre d’une demande sociale. Les citoyens peuvent ainsi voir en l’élu un responsable capable de répondre de ses actes, capable de les représenter et surtout capable d’agir.
- La personnalisation et la professionnalisation de la politique
Nous avons vu que Rosanvallon dans ce livre nous décrit l’évolution d’un exécutif tantôt méprisé et réduit et plus tard renaissant et s’imposant de nouveau. La présidentialisation de nos régimes a mené à une évidente personnalisation du pouvoir loin de l’impersonnalité recherchée par le parlementarisme. Désormais, le pouvoir exécutif a un visage et peut revendiquer une action forte. Certains voyaient par là un bon moyen de pouvoir contrôler l’exécutif. Il y a une certaine imputation et un contrôle par l’élection pour l’élu. Un universitaire irlandais Brian Farrell notait « Dans presque tous les systèmes politiques, la domination de l’exécutif et la personnification de celui-ci par un seul leader sont devenues un fait central de la vie politique ». Outre la présidentialisation Rosanvallon insiste sur une présidentialisation-personnalisation qui présente une incarnation sociale du pouvoir exécutif. Il s’agirait alors d’un modèle présidentiel-gouvernant fondé sur trois dimensions:
- une dimension fonctionnelle qui met en exergue une forte personnalisation.
- une dimension institutionnelle qui acte la prééminence de l’exécutif.
- une dimension constitutionnelle c’est à dire notant la généralisation du modèle décrit.
Le suffrage universel acquis, la démocratie s’est transformée selon ce modèle. Nous avons alors assisté, comme le fait remarquer l’auteur, à une professionnalisation du métier politique liée à la consécration du suffrage. La politique est devenue un métier et la compétition politique est une lutte pour la reconnaissance. La présidentialisation a par conséquent mené à un pouvoir personnifié qui n’est pas sans rappelé un certain césarisme. C’est le cas notamment en France avec la constitution de la Vème République taillée en partie pour le général de Gaulle. Elle consacre en effet l’avénement d’une figure présidentielle qui s’impose et qui semble vouloir représenter l’intérêt général.
- Mais une démocratie qui ne donne qu’un permis de gouverner
Rosanvallon, après nous avoir décrit l’évolution du pouvoir exécutif dans l’histoire, essaie de comprendre l’état actuel de la démocratie. Si l’auteur a écrit ce livre c’est tout d’abord car il est parti d’un constat simple: il n’existe peu (voire pas) de théories du gouvernement démocratique et du pouvoir exécutif dans la littérature. Les seuls traités qui nous sont parvenus étaient soit très peu diffusés (ceux de Guizot et de Necker) ou bien constituaient plus des conseils pour la bonne conduite des princes. Rosanvallon se propose alors dans cet ouvrage d’établir une théorie de gouvernement démocratique qui présente de nombreuses critiques. Si l’exécutif, concomitamment à l’imposition du suffrage universel, s’est renforcé ce n’est pas toutefois sans limite. L’auteur relève de multiples problèmes. Tout d’abord, Rosanvallon note qu’il y a un écart entre les qualités nécessaires à l’élection et celles nécessaires à un bon gouvernant. Les candidats sont supposés être proches de la population, les élus quant à eux doivent être habiles. L’élection confère ainsi une super-légitimité en confondant sélection et mode de légitimation. L’élu peut ainsi en abuser ce qui pousse comme le note l’auteur à une « propension à l’illibéralisme ». Si personne ne peut contester la majorité mathématique, une vision sociologique et morale peut être adoptée pour se demander si l’élu à 51% est vraiment légitime. De plus, la perspective de réélection altère énormément le comportement du représentant. Enfin, si le pouvoir exécutif semble aujourd'hui s’être imposé, l’auteur note un certain retour de l’impersonnalité notamment avec les autorités administratives publiques ou indépendantes et le règne de la technocratie que nous aborderons. Cette impersonnalité tend à s’imposer avec la constitutionnalisation de plus en plus importante
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