Catharsis - Pourquoi la violence au théâtre et au cinéma
Par Raze • 20 Septembre 2017 • 3 366 Mots (14 Pages) • 705 Vues
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Les dramaturges n’ont pas la possibilité de recourir à un montage habile, ils n’ont à choisir qu’entre deux options : montrer ou ne pas montrer. Du moins en apparence.
Ne pas montrer est le parti qui stimule le plus l’ingéniosité des dramaturges, car il les oblige à trouver des solutions de rechange, c’est-à-dire de s’arranger pour que le spectateur comprenne ce qui se passe sans suivre directement le déroulement des opérations. La première est d’éluder, c’est-à- dire d’escamoter le moment fatidique. C’est le précepte de la dramaturgie classique française de ne pas ensanglanter la scène. A ceci près que cet interdit n’a jamais été vraiment formulé comme tel, qu’il est une sorte de loi implicite. Il est d’ailleurs loin d’être absolu : il s’agit surtout d’empêcher la représentation complète et explicite d’un acte sanglant. Chez Corneille, à la fin de Rodogune, Cléopâtre avale le poison sur scène et sort en s’appuyant sur sa suivante, pour tomber dès qu’elle aura franchi le seuil de la coulisse. Chez Racine, dans Bajazet, le meurtre essentiel se fait en coulisse : Roxane peut se contenter de lancer à Bajazet un simple « sortez », car le spectateur sait que les muets du sérail attendent celui-ci derrière la porte, pour l’étrangler. Mais il n’y en a pas moins une mort en scène, à la fin : la pièce s’achève sur Atalide qui se poignarde et sur sa suivante qui conclut, en deux vers, qu’elle meurt. Un ordre mortel est plus spectaculaire qu’un coup discret, à cause de la distance même entre une injonction banale et la signification qu’elle prend dans ces conditions particulières.
Cependant le film reste une œuvre de fiction où la représentation de la violence peut être beaucoup plus poussée mais où les réalisateurs doivent tout de même aussi trouver des moyens de « faire croire qu’ils montrent ». C’est ainsi qu’Hitchcock a construit l’une des scènes de meurtre les plus célèbres du cinéma – l’assassinat dans la douche de Psycho (1960) – par un savant montage où l’on voit une succession d’images partielles : la vision floue de l’assassin, à travers le rideau de la douche, des morceaux du corps de la victime, le jet qui sort du pommeau, le tournoiement de l’eau qui se colore dans le bac avant d’être évacuée. Dans cette mosaïque, presque rien qui décrive le geste meurtrier : quelques photogrammes montrent une main qui s’abat, crispée sur le manche d’un couteau. Le secret, pour être efficace, n’est pas de planter une caméra face à l’action, c’est de suggérer, par des aperçus bien choisis, ce que le spectateur est obligé de reconstruire dans sa tête.
La violence scénique n’a pas seulement préoccupé la théorie du théâtre, elle a nourri un questionnement esthétique récurrent. L’abbé Dubos, qui ouvre son grand traité poético-pictural, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (1719) sur la différence entre l’impression produite par l’objet réel et celle produite par l’imitation, prend pour point de départ les spectacles de violence réelle, comme ceux des gladiateurs. Le grand théoricien du sublime, Edmund Burke, dans sa Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful (Londres, R. & J. Dodsley, 1757), propose l’exécution publique comme modèle du plaisir tragique : devant la tragédie la plus sublime et la plus émouvante, jouée par les acteurs les plus adulés, avec les meilleurs décorateurs et musiciens, si l’on annonce qu’une exécution publique aura lieu sur la place voisine, la salle se videra. Burke polémique implicitement avec l’Abbé Dubos, mais surtout il reprend, pour le dépasser et le déplacer, le fait que l’on prenne plaisir à la représentation de choses qui, dans la réalité, inspireraient le dégoût. Un paradoxe généralement illustré par des exemples sanglants, comme les cadavres du champ de bataille : la représentation nous endurcit comme l’accoutumance au sang endurcit les soldats. Aristote postule que la mimésis (action de reproduire ou de figurer) convertit un objet désagréable en source d’euphorie. Burke affirme que c’est l’horreur réelle qui est recherchée parce qu’elle est irremplaçable comme source de sensations fortes. Le plaisir qui naît de la médiation mimétique n’est rien à côté du saisissement que provoque l’horreur dans sa vérité la plus immédiate.
Finalement la catharsis est issue des idées que le spectateur se fait de la violence et des actions qu’il veut ressentir. Cette représentation est donc poussée à changer avec le temps. A travers son œuvre, le réalisateur cherche à créer et à surprendre pour donner au spectateur à réfléchir. C’est ce qui nous conduit à dire que le spectateur est acteur de sa catharsis de par sa réflexion.
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« Ce que l’art reflète en réalité, c’est le spectateur et non la vie ». Oscar Wilde
Analyse d’extrait :
1993 : « C'est arrivé près de chez vous », film de Rémy Belvaux :
Faux documentaire en noir et blanc, ce film parodique met en scène une équipe de journalistes qui suit un serial-killer, interprété par Benoît Poelvoorde, sans jamais intervenir. Ce film a fait polémique car les spectateurs, de façon radicalement différente selon leur âge, étaient partagés entre le rire provoqué par une comédie bien menée et l'horreur que pouvaient susciter des images de mutilation explicites.
Le contexte idéologique, culturel et politique a beaucoup évolué à cette époque, puisque le monde cesse d'être divisé en deux en 1989, avec la chute du Mur de Berlin. Ces repères ayant basculé en quelques années, une période de dérision s'ouvre, de 1990 à 2005, avec l'émergence, par exemple dans les médias français, des guignols de l'info, du petit journal, où la caricature permet de rire de tout.
La perte de repères politico-religieux et de repères économiques va provoquer pendant cette période un repli individualiste, et dans la représentation cinématographique une nécessité de donner à voir les corps meurtris et les actes de mutilation. A partir des années 90, avec la pandémie du Sida, le sang devient porteur d'un virus mortel, et c'est justement à cette époque-là qu'on observe la multiplication de films montrant des flots de sang et des chairs éventrées, comme si l'art mettait sur les écrans ce qu'on ne veut pas voir et qu'on ne veut pas toucher. Il semble que, depuis
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