Les mots peuvent-ils nous manquer ?

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L’ineffable correspond donc à ce qu'on ne peut exprimer par des mots en raison de son intensité ou de sa nature.

Victor Hugo dans Le dernier jour d’un condamné disait : « Les mots manquent aux émotions ». C’est ici clairement exprimé : face à des émotions trop fortes, trop intenses, l’Homme se retrouve face à l’impossibilité de construire un récit, de trouver ses mots pour exprimer ce qu’il ressent.

De plus, nous ressentons parfois les limites du langage pour exprimer notre pensée. Comme si nous avions quelque chose qui ne pouvait être dit à cause de la forme étriquée des mots du langage. Il faudrait donc d’autres mots que ceux existent.

L'indicible, c'est d'abord ce qu'on ne peut dire ou exprimer. On peut ne pas arriver à dire quelque chose quand nous nous exprimons dans une langue que nous ne maîtrisons pas encore parfaitement par exemple. Notre langue justement, quand les mots nous manquent, serait comme étrangère à la pensée elle-même. Comme si nos pensées, informes, attendaient un nouveau mot pour les dire.

Mais aussi, dire qu'il y a des choses qu'on ne peut pas exprimer, c'est dire qu'il y a des choses que certaines personnes déclarent ne pas pouvoir exprimer : "Je ne sais pas comment dire, je ne sais pas bien parler, je ne trouve pas les mots, je n'arrive pas vraiment à dire ce que je veux dire…"

Mais cette impossibilité pour une personne n'implique pas nécessairement que ce serait impossible à tous. La non-compétence linguistique d'une personne pourra donc l’amener à éprouver de manque de mots, comme dans le film de François Truffaut, Victor de l’Aveyron, où l’on peut voir un jeune garçon nommé Victor qui a vécu plus de dix années dans une forêt. Ce dernier, n’ayant jamais appris à lire et à écrire et ne communiquant pas avec d’autres personnes, il ne pouvait pas s’exprimer. L’absence de lettrisme, de parole peuvent aussi expliquer que les mots peuvent manquer.

Par ailleurs, il peut arriver de ne pas avoir avoir les mots pour dire quelque chose car l’on reste encore à une intuition vague, peu précisée, encore informe. Il s'agit alors de penser une inadéquation entre le langage humain et la pensée. Je ne peux pas dire ce qui n'est pas encore pensé de manière distincte comme Hegel dans Esthétique disait : « l’ineffable c’est la pensée obscure, la pensée à l’État de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot ». Cela peut s’expliquer de deux façons :

- Il n'a pas une pensée, une idée, mais sa pensée est comme le dit Hegel à l'état de fermentation, état dans lequel la pensée n'a pas encore trouvé ses mots. Si tel est le cas, il est alors évident qu'on ne peut pas la dire : elle n'est pas encore tout à fait une pensée.

- Il n'a pas une pensée, une idée, mais quelque chose à l'esprit qu'on peut parfois mais à tort prendre pour une pensée : une émotion, un sentiment, une perception, une image. Mais ce ne sont pas des pensées au sens strict, ce sont des affects ou des perceptions. Or, précisément : puisque ce ne sont pas des pensées ou des idées, rien n'indique qu'on puisse les dire comme tels.

L’indéfinissable, c’est ce qu'on ne peut pas exprimer, on ne le peut pas parce que comme tel ce qu'on voudrait exprimer n'est pas exprimable et donc on ne devrait pas vouloir le faire. Vouloir décrire une chose sans s'en faire une idée verbalisée, c'est cela qui est impossible, mais non pas de la décrire pour peu qu'on s'efforce de la concevoir. C'est lorsqu'on croit pouvoir passer directement des choses perçues ou aperçues aux mots, qu'on se heurte à l'impossibilité de dire, mais ce passage n'existe pas de manière immédiate. C'est lorsqu'on envisage l'expression comme une traduction des choses perçues ou aperçues dans les mots qu'on peut se heurter à cette impossibilité de dire.

A première « vue », les mots ne semblent pas pouvoir manquer aux Hommes puisque ces derniers sont dotés d’un langage leur permettant de connaître le sens des mots et de communiquer entre eux. Cependant, on peut s’apercevoir que sous l’influence de ses émotions, ou bien par une sorte de trouble de sa pensée, on peut se retrouver face à ce « manque de mots ». Manque de mots qui peut aussi s’expliquer simplement par un manque de compétence linguistique, ou bien par les limites du langage. L’expression « Les mots me manquent » est donc vraisemblable puisque les mots ne parviennent pas toujours à trouver sens à notre pensée, à notre idée ou a ce que l’on ressent.