TC, 8 février 1873, Blanco, 00012, S. 1873, 2, p. 157 ; conclusions DAVID, S. 1873
Par assia Wajih • 1 Décembre 2020 • Commentaire de texte • 1 843 Mots (8 Pages) • 994 Vues
Corrigé-TC, 8 février 1873, Blanco, 00012, S. 1873, 2, p. 157 ; conclusions DAVID, S. 1873, 2, p. 154-157.
L’adage « la compétence suit le fond » connut sa postérité grâce à l’arrêt Blanco. Il exprime la nécessité de reconnaître au profit d’une juridiction distincte de l’ordre judiciaire la compétence d’assurer le respect d’un droit original.
(Faits) La fille de Monsieur Blanco passait sur la voie publique devant l’entrepôt des tabacs à Bordeaux. Un wagon poussé par les employés de cette manufacture l’a renversée. En raison de cet accident, elle a dû subir l’amputation de sa jambe.
(Procédure) Monsieur Blanco assigne devant le tribunal civil de Bordeaux l’État et les employés de la manufacture des tabacs en vue d’engager leur responsabilité in solidum pour la blessure subie par sa fille. Par un déclinatoire proposé le 29 avril 1872, le préfet de la Gironde demande que le juge judiciaire se déclare incompétent pour connaître l’action de Monsieur Blanco. Or le tribunal civil de Bordeaux rejette ce déclinatoire en s’estimant compétent. Le préfet adopte ainsi un arrêté de conflit et défère l’affaire en question devant le Tribunal des conflits. Ce dernier est alors appelé à trancher un conflit positif entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires.
(Question de droit) À la lecture de l’arrêt du Tribunal des conflits, plusieurs questions se posent. Au départ, il y a un différend entre une personne privée et l’État. Y a-t-il une particularité caractérisant l’une des parties à ce litige ? Au regard de cette particularité,
convient-il de trancher ce litige au regard du droit privé ou sur le fondement des règles de droit originales ? Si ce différend est résolu à la lumière d’un droit spécifique, quel est le juge compétent pour l’appliquer ?
Le fait qu’un litige oppose l’État aux particuliers exerce-t-il un impact sur le droit applicable et sur le juge compétent ?
(Solution) Les juridictions administratives sont compétentes pour connaître le litige opposant le Sieur Blanco à l’État, parce qu’en présence d’un préjudice provoqué à un particulier par les agents que l’État emploie dans le service public, la règle de droit qui a vocation à jouer ne saurait être tirée du Code civil, mais d’un droit spécial, à savoir le droit administratif.
(Portée/Annonce du plan) L’arrêt Blanco exprime clairement un principe qui était sous-jacent à la jurisprudence administrative du XIXe siècle (voir : CE, sur conflit, 6 décembre 1855, Rotschild, 26953, Rec. p. 707 ; CE, sur conflit, 6 août 1861, Dekeister, 32934, Rec. p. 672). Le droit qui régit les rapports de l’administration doit être différent des règles qui, issues du code civil, régissent les rapports entre particuliers. Il faut qu’il s’agisse d’un droit original, propre à la mission d’intérêt général qui pèse sur l’administration (I). Ce droit spécifique doit être appliqué par un juge distinct de l’ordre judiciaire et proche des besoins administratifs (II).
I. L’originalité du droit applicable
Selon les termes de l’arrêt Blanco, le droit applicable à l’administration est original à un double titre. Il est tout d’abord propre à l’exorbitance des autorités administratives, à leur différence grossière par rapport aux particuliers, à leur supériorité manifeste (A). Il est également apte à varier au gré des besoins de l’administration (B).
A. Un droit propre à l’exorbitance de l’administration
Considérant commenté dans cette subdivision :
« Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l'Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ». - Le code civil est conçu pour régir des rapports entre particuliers. Au regard du droit privé, les
personnes privées se trouvent sur un pied d’égalité. Le code civil opère ainsi une pondération entre deux intérêts privés qui sont égaux.
- Or l’administration agit toujours dans l’intérêt général (« dans le service public ») ; elle veille à la satisfaction des besoins de la collectivité (voir aujourd’hui : TC, 13 octobre 2014, Société AXA France IARD, C3963, Rec. p. 471 ; CE, Ass. avis 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les Roses, 249153, Rec. p. 433). Pour mener à bien sa mission d’intérêt général, elle doit pouvoir imposer sa volonté aux particuliers, sans que leur consentement soit requis. Comme l’administration peut outrepasser les résistances des individus pour mieux exécuter sa mission d’intérêt général, elle est supérieure aux personnes privées.
- Seul un droit spécifique qui puisse prendre acte de cette supériorité doit lui être appliqué. Le code civil conçu pour mettre en balance des intérêts privés et égaux est manifestement inadapté pour saisir cette supériorité de l’administration, cet écart grossier par rapport aux personnes privées.
B. Un droit variable au gré des besoins administratifs
Considérant commenté dans cette subdivision :
« Que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue ; qu'elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'Etat avec les droits privés ».
- Pour mener à bien sa mission d’intérêt général, l’administration a besoin de liberté, de souplesse. Elle doit bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire pour tenir compte des nécessités administratives et adapter ses décisions aux particularités de chaque affaire (voir : J.- G. LOCRÉ, Du Conseil d’État, de sa composition, de ses attributions, de son organisation intérieure, de sa marche, et du caractère de ses actes, Paris, Garnery, 1810, p. 168). Le droit applicable à l’administration doit ainsi lui reconnaître cette liberté d’adaptation. Il doit lui permettre d’édicter des décisions variables selon les besoins concrets de l’action administrative. - Le code civil ne saurait remplir une telle fonction. Au XIXe siècle, il fut conçu comme un texte rigide, inflexible liant entièrement les mains des organes qui sont habilités à l’appliquer. Comme il est manifestement inadapté pour prendre acte de la nécessaire liberté de l’administration, il doit céder sa place à un droit original qui, octroyant à l’administration un pouvoir discrétionnaire, lui permet de s’adapter aux nécessités concrètes de son action. Transition : Ce droit original propre à l’exorbitance et à la liberté d’action de l’administration ne saurait être appliqué par le juge judiciaire. Un ordre juridictionnel spécifique doit être instauré afin d’appliquer ces règles de droit particulières qui constituent le droit administratif.
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