L'Etat d'urgence et la protection des droits et libertés
Par Ninoka • 31 Août 2018 • 3 673 Mots (15 Pages) • 677 Vues
...
On n’est pas non plus dans un régime quasi dictatorial prévu à l’article 16 de la Constitution, qui permet au Président de la République de disposer de la totalité des pouvoirs.
Par ailleurs, c’est aussi la loi dans son article 2 qui précise que l’Etat d’Urgence est déclaré par un décret qui devra déterminer son champ d’application géographique et que au delà de 12 jours la prorogation de l’Etat d’Urgence ne peut être autorisée que par la loi. En outre, l’Assemblée Nationale et le Sénat doivent être informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’Etat d’Urgence.
En l’espèce, l’Etat d’Urgence a été pris par décret le 14 Novembre 2015, suite aux attentats de Paris du Bataclan, et au delà de 12 jours il a été prorogé pour une durée de 3 mois par la loi du 20 Novembre 2015 votée à la quasi unanimité, puis il a fait l’objet de plusieurs prorogations par le législateur, la dernière datant de Décembre 2016 qui le prolonge jusqu’en Juillet 2017. En effet, le Gouvernement rappelle que la menace terroriste est toujours présente au plus haut niveau sur le territoire français, et que la presse se fait l’écho tous les jours de projets d’attentat déjoués grâce aux mesures permises par l’Etat d’Urgence.
B) Des pouvoirs encadrés concernant la nature des mesures de police administrative
Les pouvoirs dont disposent les autorités de police administrative sont considérables, et les atteintes sont réelles. Tout d’abord, l’Etat d’Urgence donne au préfet le pouvoir d’interdire la circulation des personnes ou véhicules dans les lieux et aux heures fixées par arrêté. Le préfet peut également instituer des zones où le séjour des personnes est réglementé. Il peut interdire le séjour à toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics.
Le ministre de l’intérieur peut adopter d’autres mesures supplémentaires. Il peut prononcer des assignations à résidence. La loi de 1955 prévoyait que ces assignations à résidence étaient applicables à toute personne dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre public. La loi du 20 Novembre 2015 a modifié l’assignation à résidence qui concerne maintenant toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public.
De plus, la loi du 20 Novembre 2015 énonce que le ministre de l’intérieur peut prescrire aux assignés à résidence une obligation de se présentent aux services de police, cette obligation peut aller jusqu’à 3 présentations par jour. Il peut être interdit à l’assigné à résidence d’entrer en contact avec des personnes soupçonnées de préparer des actes portant atteinte à l’ordre public. Le port du bracelet électronique peut également être possible.
Cependant, pour les personnes sous le coup d’une assignation à résidence, certains droits leurs sont garantis. Ainsi, on ne peut être assigné à résidence plus de 12h. Les garanties prévues par la loi de 1955 existent encore. De ce fait, l’assignation ne pourra avoir pour effet la création de camp où seraient détenues les personnes concernées, c’est pour cela qu’on permet aux personnes assignées de résider dans une agglomération, ou à proximité.
Il est possible pour le ministre de l’intérieur d’ordonner la fermeture des salles de spectacle, des débits de boisson, et des lieux de réunion de toute nature. Il peut ordonner la remise des armes, comme nous avons pu le voir à la Réunion en 2016. La loi du 20 Novembre 2015 permet au ministre de l’intérieur d’interrompre les sites internet provoquant à la commission d’actes terroristes ou leur apologie.
Le Gouvernement, réuni en Conseil des Ministres, peut aussi « dissoudre les associations ou groupement qui participent, facilitent, ou incitent à commettre des actes portant une atteinte grave à l’ordre public », et qui comportent en leur sein des personnes assignées à résidence. Plusieurs lieux de culte sont fermés, comme la mosquée Al-Rawda de Stains, fréquentée par le djihadiste Fabien Clain, auteur du massacre du Bataclan. Cette fermeture a été ordonnée par le préfet le 2 Novembre 2016 et confirmée par le Conseil d’Etat le 20 Janvier 2017.
Le régime des perquisitions est aussi précisé dans cette loi. Ainsi, les droits des personne perquisitionnées sont partiellement pris en compte car elles bénéficient d’un certain nombres de garanties : aucune perquisition administrative ne pourra viser les locaux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire, ou à l’activité professionnelle des avocats, magistrats, ou journalistes.
Ces mesures ont été largement utilisées puisque entre le 14 Novembre 2015 et le 23 février 2017, 4400 perquisitions ont eu lieu. On peut relever toutefois que seulement 25 ont révélé des faits de nature terroriste, ce qui fait craindre que ces possibilités exceptionnelles ont été mises en œuvre dans le cadre de procédure de droit commun conduisant à un abus de l’Etat d’Urgence.
On constate que l’encadrement de l’adoption de l’Etat d’Urgence ou de ses conditions de mise en œuvre, bien qu’encadrées par la loi, n’offre pas une protection suffisante aux droits et libertés fondamentaux des citoyens. Des abus ou des dérives sont possibles, qui rendent absolument nécessaires des contrepouvoirs, et notamment des contrôles juridictionnels.
II. La nécessité d’un contrôle juridictionnel de l’Etat d’Urgence
Avec une énième prolongation jusqu’à Juillet 2017, la durée de l’Etat d’Urgence se rapproche du record de durée pour une telle mesure, puisque l’Etat d’Urgence à l’époque de la guerre d’Algérie avait duré 2 ans. Dans ces conditions, de plus en plus de personnes pensent que la mesure n’est plus adaptée. Pour le philosophe Tristan Storme, « un état d’urgence prolongé ne revient pas à protéger l’Etat de Droit, mais au contraire à y contrevenir ». Pour lui, le terrorisme est installé dans la durée, et une situation normale ne peut justifier la prolongation d’une mesure d’exception qui deviendrait la norme. Face à cette situation, des contrepouvoirs comme ceux de la presse, du défenseur des droits, ou d’ONG comme Amnesty International paraissent utiles. Mais la principale solution à la protection des droits et libertés des citoyens se trouve dans le contrôle juridictionnel de l’Etat d’Urgence. Ce contrôle juridictionnel s’exprime tant au niveau de la déclaration de l’Etat
...