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Crise et rupture

Par   •  9 Février 2018  •  2 835 Mots (12 Pages)  •  569 Vues

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aux changements techniques. On pourrait, à l’opposé, chercher à démontrer le mécanisme par lequel la crise majeure, qui met un terme à la phase ascendante du Kondratiev, implique de manière endogène des modifications systémiques.

C’est ce que fait le groupe de travail réuni autour de Christopher Freeman et de Carlotta Perez, avec la notion de « paradigme techno-économique » . Cette approche explique comment un nouveau « régime technologique » devient dominant : c’est pendant la crise majeure que le nouveau régime, qui existait déjà sous l’ancien paradigme, commence à se répandre, faisant preuve petit à petit de sa supériorité. Mais ce n’est que lorsque l’ancien régime technologique arrive à ses limites, du fait de la raréfaction de son input dominant, du fait qu’il ne semble plus en mesure d’améliorer la productivité, que le nouveau régime s’impose dans les mentalités. De fait, on voit que le changement nécessite la crise, et que ce changement ne saurait se limiter à un pur changement technique : les dimensions sociale et institutionnelle sont également à prendre en compte. Ainsi, pour Perez, la crise proviendrait de l’inadéquation entre une configuration technique et les mentalités : elle marque donc une étape, en ce qu’elle est facteur de changement social. Par ailleurs, les paradigmes techno-économiques sont fondés sur un input dominant : du coton et du faible coût du travail lors de la Révolution Industrielle, à l’électronique et l’informatique aujourd’hui. On voit donc que la crise majeure ou la phase descendante du Kondratiev modifie en profondeur les modalités par lesquelles on obtient de la croissance, mais ne change rien au fait que la croissance est obtenue et qu’elle permet de soutenir le développement. La seule différence notable tient à l’efficacité de ces paradigmes : il semble que le paradigme techno-économique des Trente glorieuses, fondé sur le pétrole bon marché et sur les produits qui en sont dérivés, ait permis des performances meilleures que celui que nous connaissons actuellement, d’où l’idée que la crise qui s’amorce dans les années 1970-1980 constitue une rupture en ce sens qu’elle ralentit le rythme du processus de développement.

Finalement, on voit bien que la crise, dès lors qu’elle est d’ampleur, est source de rupture dans le fonctionnement du capitalisme, dans la mesure où elle est une sorte de laboratoire des idées neuves, dont émerge un nouveau régime de croissance. Même la crise de 1929, que l’on qualifie de « cycle non reproductif » puisqu’aucun mécanisme endogène n’a joué pour ramener l’équilibre, semble obéir à ce modèle : l’entre-deux-guerres est, selon l’expression de Robert Boyer, « le temps long du changement », durant lequel les contradictions du système se sont exacerbées pour donner naissance, après 1945, à un nouvel ordre productif. Ainsi, d’après John Kenneth Galbraith, la crise de 29 est le résultat d’un système absurde : l’économie américaine était, selon lui, « fondamentalement malsaine », et la crise ne pouvait qu’éclater. En effet, l’économie américaine était devenue beaucoup trop inégalitaire : entre 1919 et 1929, la productivité a augmenté de 43%, tandis que les salaires et les prix stagnaient… La crise était inévitable, car une correction des déséquilibres était nécessaire : on assistait aux débuts de la production de masse, tandis que les conditions de la consommation de masse n’étaient pas réunies. Le changement était donc souhaitable, mais l’on ne peut que déplorer qu’il se soit fait au travers d’une crise d’une telle ampleur, amplifiée jusqu’en 1933 par des politiques pro cycliques et aggravée par les politiques nationales non-coopératives, crise largement responsable de la guerre et de ses 50 millions de morts…

Au-delà de ses conséquences dramatiques, « le temps long du changement » de l’entre-deux-guerres a finalement permis, ou favorisé en partie, l’émergence d’un système plus pertinent alliant production et consommation de masse. Après cette « pause » de la crise de 29 (certains pays ne retrouvent leur niveau de production de 1929 que plusieurs années après la guerre), le processus de développement reprend sur les bases d’une croissance très soutenue. La crise, aussi douloureuse soit-elle (les 30 millions de chômeurs du début des années 1930 et les 50 millions de morts de la guerre !), n’a été qu’une étape dans le processus de développement, d’où a émergé, entre autres, des politiques de régulation conjoncturelle d’inspiration keynésienne particulièrement efficaces (jusqu’aux années 1970 ?), puissant vecteur de croissance et de développement.

En définitive, on voit que les crises majeures sont l’occasion de passer d’un système à un autre pour poursuivre le processus de développement. C’est l’analyse que font, entre autres (les radicaux américains par exemple), les théoriciens régulationnistes comme Michel Aglietta et Robert Boyer . Les auteurs de l’Ecole de la Régulation établissent une typologie des crises particulièrement éclairante. Ils distinguent cinq types de crises, que nous évoquerons par ordre croissant de gravité. Le premier est celui des crises provoquées par un facteur exogène, tel que l’augmentation du prix d’une matière première fondamentale. On peur relier cette idée de chocs exogènes à l’analyse que les nouveaux classiques font des crises : ils développent la théorie des cycles réels, selon laquelle les crises résultent de chocs exogènes, par exemple un choc de productivité (une augmentation temporaire de la productivité), qui pousse les agents à faire des arbitrages inter temporels dans le sens de plus de travail aujourd’hui pour bénéficier de la « manne » et moins de travail demain, d’où la crise demain. Ce type de crise n’a aucune conséquence sur le développement puisqu’elles sont temporaires et ponctuelles alors que le développement est un phénomène de long terme.

Avant de passer à l’explication des autres types de crise, il convient d’expliquer certains concepts régulationnistes. Tout d’abord, l’économie de marché est « instituée » par un certain nombre de « formes institutionnelles » (les formes de la monnaie et du régime monétaire, les formes du « rapport salarial », les formes de la concurrence, les formes de l’Etat, les formes d’insertion dans l’économie internationale), qui déterminent les configurations institutionnelles en vigueur. Lorsque ces entités a priori indépendantes forment système, ont des interactions cohérentes, on appelle « mode de régulation » l’ensemble des mécanismes impliqués : le mode de régulation permet la reproduction des formes institutionnelles

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