JAMES LOVEBIRCH, Les Cinq Fessées de Suzette
Par Orhan • 2 Décembre 2018 • 3 098 Mots (13 Pages) • 521 Vues
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© 2009 by Éditions Dominique Leroy, France. 6
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LES CINQ FESSÉES DE SUZETTE
La jeune fille est très expéditive. Sitôt décidé, sitôt fait... Elle va utiliser sa matinée à faire un petit voyage à Neuilly et à rendre visite à cet excellent M. d'Albert— avec un « d’ », s'il vous plaît !
La toilette rapidement achevée, Lucienne dégringole son sixième de la rue Fabre d'Eglantine, gagne d'un bond la place de la Nation, saute dans le métro et descend — ou plutôt « ascend » — à la Porte-Maillot d'où elle gagne pédestrement — par raison d'économie
— le boulevard Bineau.
Au 250, elle sonne à la porte d'une assez confortable villa, précédée d'un jardin bien entretenu, et se voit, non sans surprise, recevoir directement par un élégant jeune homme d'une trentaine d'années, d'allures distinguées et de manières sympathiques, dont le regard légèrement déshabilleur est la seule note discordante.
Ce jeune homme l'introduit dans un cabinet de travail simplement, mais suffisamment meublé, et, après l'avoir examinée quelques minutes à la dérobée, tout en faisant semblant de chercher sur son bureau une feuille de papier qui lui crève les yeux, demande très poliment à la jeune fille ses nom, âge, adresse, références, capacités et prétentions pécuniaires, dont il prend soigneusement note. Puis :
— Je crois que j'ai sous la main ce que vous cherchez, mademoiselle. Toutefois je ne puis rien vous promettre de façon absolue avant d'avoir vu de nouveau la personne à qui je pense...
Il faut aussi qu'elle vous voie... Revenez donc après-demain, dans la soirée... pas avant huit heures, même... je tâcherai de vous mettre en présence et je crois que vous plairez... C'est une dame déjà âgée...
une maison très connue de l'avenue de l'Opéra...
7 © 2009 by Éditions Dominique Leroy, France.
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PETITES ANNONCES
Un peu gênée devant le regard pénétrant du jeune homme, Lucienne le laissait parler sans lui demander de plus amples détails et sans pouvoir arriver à démêler à travers ses phrases ambiguës si ce qu'il lui proposait était bien ce qu'elle cherchait. Enfin, n'arrivant à découvrir ni sous-entendus, ni arrière-pensées dans la prose du « monsieur aux belles relations » ou de son représentant, elle prenait congé de lui en se demandant si, oui ou non, elle devait revenir.
Une heure plus tard, elle était de retour à son sixième et préparait sans entrain son frugal déjeuner.
Puis elle passait son après-midi à courir — toujours sans résultat — quelques magasins à elle signalés par les journaux.
Le lendemain, elle se réveilla un peu fatiguée et ne put sortir. D'ailleurs elle était très découragée. Son porte-monnaie maigrissait à vue d’œil : dans quelques jours ce serait la misère noire... Et puis toutes les démarches infructueuses la désespéraient...
C'est pourquoi elle finit par prendre la résolution de retourner chez M. d'Albert... mais elle la prit sans enthousiasme, faute de mieux, et sans trop compter sur la réussite, afin de s'éviter une nouvelle déception... Elle jouait simplement une de ses dernières cartes...
Le surlendemain — c'était un jeudi — après avoir dîné de très bonne heure, Lucienne quittait sa chambre, un peu nerveuse, et s'amusait à faire le tour des boulevards extérieurs de la rive gauche, par le métro, pour allonger son chemin, afin d'arriver plus calme à Neuilly. Aussi, était-il huit heures et demie bien sonné lorsqu'elle sonnait à la grille de la villa du boulevard Bineau.
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LES CINQ FESSÉES DE SUZETTE
Ce fut encore l'élégant jeune homme qui lui ouvrit et l'introduisit dans le cabinet de travail où il la laissa bientôt seule en la priant de l'excuser car il avait plusieurs invités et la dame âgée de l'avenue de l'Opéra n'était pas encore arrivée... La jeune fille assura qu'elle attendrait patiemment car elle disposait entièrement de sa soirée, et M. d'Albert s'éclipsa.
Lucienne est seule, et, maintenant qu'elle est dans la place, elle se demande encore si elle a bien fait d'y venir... Elle commence à trouver l'attitude de M. d'Albert un peu louche et à mettre en doute l'existence de la dame âgée de l'avenue de l'Opéra... Ce qui la rassure, pourtant, c'est qu'elle n'est pas seule avec M. d'Albert dans la maison puisqu'il y a des invités... et des invitées, aussi, sans doute... Mais si, par hasard, il n'y avait que des hommes ? ...
Peuh, avec les ongles et les dents on peut toujours se défendre ! Lucienne n'est plus une fillette dont on vient à bout avec quelques coups de poing... Elle est de taille à lutter un moment...
Zut, voilà que l'électricité s'éteint ! Oh ! cette électricité de malheur, elle n'en fait jamais d'autres !
... Et c'est toujours au moment où on a le plus besoin de lumière que les courts-circuits s'en donnent à cœur joie !
Impressionnée désagréablement, Lucienne ne peut plus résister à l'envie de se lever et de chercher à tâtons une issue quelconque. Mais où aller dans l'obscurité ? ... Elle se rassoit, très ennuyée... Il lui semble, alors, qu'une porte s'ouvre derrière elle, et, avant qu'elle ait eu le temps de se mettre en garde, elle se sent saisie par plusieurs hommes. Un bandeau s'applique sur ses yeux, un bâillon s'adapte à sa bouche, des mains lui replient les bras derrière le dos
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