Espace
Par Raze • 21 Décembre 2017 • 22 068 Mots (89 Pages) • 522 Vues
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Notre expérience de l’espace c’est aussi le caractère individuel des corps dans l’espace, la singularité des individus. Même si on trouve deux corps parfaitement identiques (deux feuilles d’arbres). Dans l’espace il n’y a pas d’indiscernable (alors que dans l’intellectuel si), car il y a simplement cette position de base où une chose est à côté d’une autre. L’intellect classe les objets, qui sous certains aspects sont similaires.
Outre le fait que l’espace sparte les individus, il les lie entre eux par des rapports ; on peut toujours s’éloigner, se rapprocher. L’espace enferme les corps dans des rapports mutuels (deux individus ne peuvent être sans rapports spatiaux) ; cela implique une relation que nous avons avec l’espace, nous avons toujours la possibilité de nous éloigner. Sartre : « absolument parlant, nous avons toujours la possibilité de nous éloigner »
La spatialité n’est pas un pur objet de pensée mais une réalité difficile à cerner par la penser. L’une des expériences banale de l’espace est une juxtaposition de parties d’espace (une salle, un endroit) qui s’excluent les unes des autres. C’est une exclusion de fait qui ne correspond à aucune logique, elle ne relève pas d’une théorie, c’est un fait. Il y a dans l’espace un type de nécessité qui ne relève pas de la pensée, que l’on peut seulement constater. C’est un ordre de fait, qui n’est pas conceptuel et qui est absolument nécessaire. Il concerne le caractère particulier, singulier de chacun des éléments de l’espace. Si on suppose deux objets parfaitement identiques, indiscernables (= par la pensée, ces deux sont les mêmes), ils auront néanmoins une position différente de l’autre dans l’espace. Cette différence ne tient pas à la nature des choses, elle tient à leur position dans l’espace. On a encore une donnée étrangère à la pure pensée. L’espace est ce qui assigne donc aux individus des positions différentes, mais il les mets en même temps en rapport les uns avec les autres (être devant, derrière, sur quelque chose ou quelqu’un). Chaque fois que l’on a une position dans l’espace, il y a une possibilité de la modifier. Et cette possibilité de modifier cette position nous donne une certaine liberté (d’où le caractère non libre de la prison). On ne peut pas imaginer se trouver dans un ailleurs absolu, là où il n’y a plus d’espace.
Il y a dans la poésie romantique le thème du désir, de l’absence totale de contraintes. Baudelaire :
« Plonger au fond du gouffre, enfer ou ciel, qu’importe,
au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. »
Le poète constate avec mélancolie son impuissance à s’arracher à la vulgarité et finalement, ces derniers vers s’adressent à la mort ; seule solution trouvée par le poète pour sortir de cette mélancolie, le spleen. Il y a mélancolie dans le sentiment d’impuissance à sortir du monde, à s’arracher de la spatialité. Il y a l’expression d’une aspiration (mise en échec) d’être dans un monde et de ne pas pouvoir en sortir.
Hegel porte un jugement très sévère sur cette aspiration à jouir d’une liberté absolue qui serait l’affranchissement de la spatialité (= n’avoir plus de rapport avec les choses qui nous contraignent) : « La possibilité de m’abstraire de toute détermination où je me trouve, ou bien où je me suis placé, c’est la liberté du vide. » extrait des Principes de la philosophie du droit. Ce n’est donc pas une liberté authentique ; il y a là une forme utopique de la liberté qui voit une perfection de la liberté dans l’absence d’une situation, de contraintes liées à une situation particulière. Selon Hegel, ça consiste à vouloir être dans le vide, il oppose à cette liberté utopique (vide) le fait que nous occupons toujours une position particulière, avec un entourage, des choses, des Hommes, qui sont toujours des déterminations qui pèsent sur notre volonté. Refuser de tels déterminismes, la réalité, c’est vouloir vivre dans le vide. Pour Hegel, cette aspiration à vouloir vivre dans le vide abouti à « la pure contemplation hindoue ». Il fait référence à la façon dont il comprend les philosophies orientales issues du bouddhisme ; la référence au nirvana qui fait référence au vide total, une absence de vide, comme absence de toute sensation attribuée au bonheur. Dans ses doctrines, la vie est associée à des souffrances, il faut donc arrêter de vivre de manière purement contemplative ; faire comme si le monde extérieur n’existait pas. Hegel voit dans une telle aspiration, une aspiration à la mort, qui est une utopie. La deuxième attitude condamnée par Hegel « c’est en politique comme en religion, le fanatisme de la destruction de tout ordre social existant. Ce n’est qu’en détruisant que cette volonté négative a le sentiment de son existence. » Ce que Hegel appelle le fanatisme (= la furie de la destruction) a sa source dans un refus de l’espace, c’est-à-dire dans un refus d’être déterminé. Dans les deux cas, Hegel les voit comme l’endroit et l’envers de la liberté. Il ne dit pas que c’est l’inverse de la liberté, il n’oppose pas espace et liberté, mais il pointe, il désigne ce qu’il considère comme la mauvaise conception de la liberté. Cette mauvaise conception de la liberté est pour lui le fait de se croire libre lorsque l’on s’est débarrassé de tout ce qui nous environne. La vraie liberté, c’est accepter de vivre dans espace, dans un environnement et d’ajouter à cela toutes les manœuvres qui permettent d’améliorer nos relations. Pour Hegel, ce qui permet la liberté c’est le travail. Par exemple, nier, réussir à modifier notre relation avec une étendue d’eau, c’est la construction de la marque ; utiliser du bois et construire une barque pour traverser la rivière, c’est modifier notre relation avec l’environnement.
Cela revient donc à une difficulté à penser l’espace, on ne peut pas réduire la spatialité aux exigences de la pensée. Les choses qui sont dans l’espace ne sont pas totalement un pur objet de pensée. Elles sont un déterminisme, des singularités, donc dans notre perception de l’espace, il y a une sorte de fait irréductible à la pure pensée. On peut donc affirmer qu’il y a toujours un petit écart entre notre connaissance du monde et ce que nous percevons dans l’espace. Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future : « Que peut-il y avoir de plus semblable, de plus égal en tout point à ma main ou à mon oreille que leur image dans le miroir ? Pourtant si c’était une main droite, il y a dans
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