Dans quelle mesure la mise en scène renforce l’émotion que suscite le texte théâtral ?
Par Ninoka • 14 Octobre 2018 • 1 709 Mots (7 Pages) • 697 Vues
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le public doit volontairement faire l’action de se déplacer. De ce fait, il se met dans des conditions particulières comme l’attention à sa tenue vestimentaire, à ce qui se passe autour de lui, qu’il s’agisse du texte ou de ce qui l’entoure. Par exemple, dans la pièce de théâtre citée plus haut La campagne, le metteur en scène avait voulu placer les spectateurs sur les planches, en entourant les acteurs. Cela créait une intimité, mettant à nu les acteurs, révélant la profondeur de leur engagement. Ainsi, l’action d’aller au théâtre rend réceptif non seulement aux langages parallèles au texte écrit mais aussi à la structure qui le porte. Parmi les éléments qui peuvent attirer l’attention lors d’une représentation, le décor joue un rôle prépondérant. Il peut être exploité pour situer la pièce historiquement, renforcer la narration mais aussi revêtir une dimension symbolique. Dans une vision très classique du théâtre, afin de respecter la règle de mimésis, il est d’usage de recourir à l’imitation de costumes et de décorum faisant référence à l’époque de l’histoire. D’autres pièces utilisent les éléments du décor pour appuyer la narration. Certains costumes ajoutent du comique à une scène, comme pour les farces de Molière, notamment dans la dernière scène du Malade imaginaire. En revanche, d’autres décors investissent une dimension symbolique. Par exemple dans Rhinocéros de Ionesco, mis en scène par Demarcy-Mota, la scène se replie sur elle-même. Ceci donne l’impression de l’inévitable chute dans l’idéologie nazie. L’idée est représentée physiquement par le glissement des acteurs grâce au décor, ce qui ne pourrait être ressenti à travers des didascalies. Le décor, par l’espace qu’il investit porte donc le texte dans une autre dimension.
De surcroît, le texte se transmet par oral dans un espace sonore inscrit dans le temps. La parole de l’acteur étire le texte, lui donne un rythme, le contraint à se conformer à la linéarité du temps. Dès lors, de multiples effets sont possibles pour se détourner du déroulement naturel dans le temps des actions. Lorsque le rythme de celle-ci est ralenti, le spectateur vit plus intensément le moment car il y est plongé plus profondément. L’impression d’un temps qui se dilate lui laisse apercevoir des aspects de la réalité qui lui échappait jusqu’alors. Par exemple, on entend un brusque coup de feu très fort dans la pièce Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès, suivit de l’impact de la balle joué au ralenti. L’intensité du bruitage permet de comprendre une violence que les mots d’un dramaturge ne peuvent reproduire. Puis c’est un long silence qui suit, donnant au spectateur le temps de saisir toute l’horreur de la situation. Cet effet est amplifié par des éclairages violents et une course effrénée de l’assassin sur des passerelles étroites et surélevées. La modification du rythme naturel des choses contribue à construire une ambiance anxiogène. Les effets audio-visuels dont se sert la mise en scène sont autant de déclencheurs d’émotions fortes, plus encore que ce que peut procurer le texte.
Ainsi, le texte est porté par les acteurs, structuré par le décor et le théâtre, et inscrit dans une temporalité. Tous ces conditions sont mises à profit pour amplifier l’impact que l’expérience théâtrale a sur le spectateur. Mais cette amplification peut être dirigée par une interprétation du texte. De ce fait, le texte n’est pas seulement renforcé d’une émotion mais aussi d’une signification indépendante de la volonté du dramaturge.
En effet, la compréhension du texte diffère selon les mises en scènes. Le metteur en scène a une vision de la pièce qui n’est qu’une facette de ce que l’œuvre peut vouloir dire. Il choisi de mettre en exergue certains éléments et par conséquence, réduit l’importance donnée à d’autres. Sa volonté impose au spectateur une interprétation qui ne convient pas toujours à ce dernier. En effet, lors de la représentation d’Antigone d’Anouilh par Dans un monologue comique, comme celui de l’Avare de Molière, le jeu d’acteur est généralement orienté de manière à susciter le rire. Mais par le choix d’une diction lente et d’une interprétation où l’on prend pitié d’Harpagon, Jouvet offre au spectateur la possibilité de voir un personnage plus pathétique que ce que ne laisse entendre le texte. La prise de parti du metteur en scène influence la conception du personnage, alors qu’un texte laisse la liberté au lecteur de l’interpréter à sa guise.
Ensuite, la mise en scène est parfois l’unique vecteur de sens, parce que certaines pièces de théâtre ne contiennent pas de mots. Tout le travail de mise en scène vise alors à être le révélateur d’émotions sans l’emploi de la parole. On peut citer La grenouille avait raison, où la dimension esthétique prédomine, tentant de créer du Beau et plaire.
Ainsi, la représentation est une riche source d’émotions pour le public car tout est savamment anticipé par le metteur en scène pour que l’expérience plaise, fasse réagir, surprenne, suscite de la pitié ou le rire. De plus, il faut que sa lecture de la pièce et les effets dont il use ne trahissent pas le texte théâtral pour révéler l’émotion qu’il possède. Mais aujourd’hui, les textes peuvent-ils être transmis par oral dans un théâtre où les effets visuels sont démultipliés et les sources auditives se mélangent aux voix des
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