Adolescence, violence et travail d'élaboration
Par Matt • 30 Avril 2018 • 9 242 Mots (37 Pages) • 500 Vues
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C’est sur ce dédoublement que Gutton introduit sa conception du processus d’adolescence et les notions de pubertaire et d’adolescens qu’il conçoit, non comme des stades, mais comme des processus psychiques : « La sexualisation du travail psychique constitue le pubertaire et crée un matériau à élaborer. De façon concomitante, la puberté instituerait une génitalisation des représentations incestueuses et leur idéalisation organisatrice : nous nommons la première pubertaire, la seconde adolescens ». (p.10)
Le pubertaire comporte un mouvement pulsionnel : la génitalisation des représentations incestueuses. Dans cette lignée du courant sensuel, Gutton note que « l’enfant suit tragiquement le destin d’œdipe. » (p.12) C’est ainsi qu’il va mettre en crise les instances du moi, du ça et du surmoi et que ce travail psychique va se heurter à la barrière de l’inceste. L’adolescens consiste en l’élaboration concomitante ou décalée du matériau pubertaire et de la violence pulsionnelle. Afin de désexualiser les représentations incestueuses, le processus psychique d’adolescens utilise l’idéalisation avec notamment l’idéal du moi et les identifications. L’enjeu de ce processus est d’amener l’adolescent dans un choix d’objet adéquat, « d’engager l’adolescent dans un travail de subjectivation et d’historicité. » (p.12-13)
A travers ce dédoublement du processus d’adolescence en les deux processus de pubertaire et d’adolescens, Gutton nous fait comprendre que l’adolescence va remanier l’intégralité des instances psychiques et nécessiter une réorganisation. Ce remaniement des instances, nous l’étudierons de plus près dans notre seconde partie, ainsi que l’élaboration de la violence pulsionnelle. Pour l’heure, si nous avons mis en évidence le parcours adolescent, les problématiques et les enjeux de ce processus, nous tenterons à présent de rendre compte de la place de la violence dans cette période de la vie.
La place de la violence à l’adolescence
François Marty, « La violence manifeste serait le manifeste d’une autre violence ».
Dans son ouvrage L’illégitime violence, l’auteur distingue les violences agies des violences internes à l’adolescence. Il explique que la violence interne serait le résultat du processus pubertaire, processus traumatique en ce sens qu’il impose des changements radicaux à l’adolescent : « la puberté comme une attaque de leur corps » (p.14). Ainsi, « il existe une autre violence, d’essence pubertaire, celle-là, liée aux transformations corporelles et psychiques de la puberté, parfois vécues comme un véritable traumatisme. » (p.8)
Nous avons étudié jusqu’à présent les diverses problématiques auxquelles se confronte l’adolescent, problématiques intenses imposant de nombreux remaniements et une grande élaboration. Marty explique que la brutalité de ces changements ferait ressurgir cette violence interne : « Plus qu’une crise, l’adolescence nous apparaît comme une véritable déchirure du corps infantile (…) mettant ainsi clairement en scène la violence interne qui fait éclater les territoires anciens de l’enfance » (p.17) Il écrit plus loin que « la subjectivité risque à chaque instant de se perdre pendant cette tempête intérieure. L’adolescent s’accroche aux objets tout en voyant dans ce qui l’entoure la source de son tourment. » (p.17)
L’auteur met ainsi en évidence tout à la fois la violence des conflits psychiques que leur difficulté à être élaborés. Et si alors le jeu de la pensée est mis en défaut, ces conflits exerceront toujours leur pression, et, avec ou sans les mots, ils devront s’exprimer. Dans cette compréhension, l’agir serait alors l’ultime recours à l’expression de ces conflits, le seul moyen d’expression à cette violence interne.
Jeammet, la violence, une réponse à une menace sur le moi.
Pour Jeammet, l’adolescence révèle les failles de la 1ère enfance ; il est de ces auteurs qui qualifient ce temps de « révélateur » - nous l’avons souligné dans notre introduction, révélateur de ce qui s’est joué avant. Dans l’ouvrage L’illégitime violence déjà cité, Jeammet écrit que « la violence est une réponse à une attaque du narcissisme et une défense contre ce qui est perçu comme une menace sur l’identité. » (p.36)
En admettant que la construction de la personnalité se fait tout à la fois sur le courant du narcissisme et sur le courant des relations objectales, on comprend que les premières relations avec l’environnement tiennent un rôle crucial dans le développement de tout un chacun. Ainsi, le courant narcissique qui participe à la construction identitaire, à la différenciation entre soi et autrui, ne peut se comprendre sans le courant objectal, à travers lequel l’environnement est utilisé pour intérioriser et constituer des objets internes. « Il est difficile de concevoir un narcissisme indépendant de la qualité des échange et des investissements objectaux. » (p.37) La relation à l’objet et le fonctionnement auto-érotique s’appuient ainsi l’un sur l’autre dès les premiers temps, l’un retentissant sur l’autre continuellement.
Jeammet nous explique alors que le bébé doit pouvoir se différencier, mais de manière très progressive et très nuancée, pour qu’il puisse s’appuyer sur l’objet sans en être trop dépendant. La qualité des relations du bébé avec l’environnement aura des conséquences majeures pour la suite. Si les relations précoces sont de mauvaise qualité, cela entrave l’autonomisation et la différenciation ; le bébé s’inscrit dès lors dans une forte dépendance aux objets externes.
Gardons en tête ce type de relations précoces et cette forte dépendance aux objets externes. Faisons alors un saut dans le temps jusqu’à la période d’adolescence, dans ce temps où la sexualisation des liens impose le travail de séparation. « L’adolescence met en cause l’ensemble des points d’appui qui assurent les fondements de l’autonomie du sujet » (p.39) Pour Jeammet alors, la prise de distance à l’adolescence met en évidence chez certains leur dépendance à l’objet, dépendance de l’enfance retrouvée ici à travers une difficulté à se séparer. Cette dépendance, trop forte alors, complique le relâchement nécessaire des liens œdipiens.
Chez ces adolescents, la séparation est vécue comme une attaque. Les conflits entre les pôles narcissiques et objectaux nécessitent une élaboration qui ne peut se faire et l’identité se
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