Racine, Phèdre, Scène 7, Acte V
Par Orhan • 30 Septembre 2018 • 1 800 Mots (8 Pages) • 787 Vues
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2) Une mort qui permet le retour à l’ordre
a) Débarrasser le monde d’une souillure
PA : La tragédie ne s’achève jamais, à l’époque classique, sur l’horreur. Les décisions finales rendent aux survivants leur place. En lisant la fin de cette pièce, on peut se rendre compte que l'extrait a pour but de rétablir la vérité. Un retour à l’ordre après l’exposition d’une morale.
En effet, la phrase affirmative «Non Thésée, il faut rompre un injuste silence.» du vers 24 confirme cette idée. L'interpellation exclamative qui constitue le début de la première réplique de Thésée «Hé bien ! vous triomphez et mon fils est sans vie» immédiatement suivie du verbe « triomphez » annonce la responsabilité de Phèdre et va conduire à son aveu. Les vers exclamatifs « l’excusant dans mon cœur, m’alarme avec raison » v 3 et « cruels soupçons » v 2 montrent le pressentiment de Thésée face à l’innocence d’Hippolyte tout comme le souligne les adjectifs antithétiques « injuste » et « légitime » v 5. Cette idée est confirmée grâce à la présence du champ lexical de l’injustice avec « perte injuste » v 5 ou encore « injustice » v 16 mais aussi avec celui de l’innocence avec « point coupable » v 26 ou encore « rendre son innocence » v 25. Ces deux champs lexicaux se côtoient tout au long de cette scène. Thésée accentue la responsabilité de Phèdre avec des propos accusatifs comme on peut le voir au v 7 « Je le crois criminel puisque vous l’accusez » ou au v 27 « c’est sur votre foi que je l’ai condamné ».
Les soupçons de Thésée étaient justifiés puisque Phèdre confirme la monstruosité de son crime avec un vocabulaire hyperbolique comme « souiller » v 51 ou « outrage » v 49. Après l’aveu de ce crime, elle ressent la nécessité de se soustraire à ce monde comme le montre les vers 42/43 « j’ai voulu devant vous exposant mes remords, par un chemin plus lent descendre chez les morts » ou la rime riche « morts/remords ». renforce son choix. Elle est coupable, tout autant devant la fidélité conjugale que religieuse comme nous le montre la reprise d’insistante de la conjonction « et » au vers 49 avec « Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ». Enfin, Les vers 50/ 51 « Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté, rend au jour qu’ils souillaient, toute sa pureté. » confirment qu’elle n’a plus sa place ici. Dès lors, la mort en tant que sujet apparaît comme la seule entité capable de restaurer l’ordre moral.
T : La mort de Phèdre permet à Thésée de se remettre en question et de tirer des conséquences.
b) La morale de Thésée
Le personnage de Thésée insiste sur la monstruosité du crime de Phèdre de part l’utilisation de l’adverbe d’intensité « si » vers 52, qui placé dans une coupe de l’alexandrin à la césure dont la première partie prononcée par Panope, concrétisant alors sur la mort de Phèdre, vient justifier le châtiment. De même, l’exclamation négative qui suit « Que ne peut avec elle expirer la mémoire » vers 53 affirme l’étendue de l’horreur du crime et à quel point il dépasse l’entendement, d’une telle puissance qu’il ne pourra tomber dans l’oubli. C’est une absence totale de compassion pour Phèdre, dont le personnage devient inexistant. Les autres acteurs, lui tournent le dos, et aucune réplique ne la mentionne plus, dès lors quelle a rendu son dernier soupir. Elle a quitté le monde de la lumière.
C’est également et le regret de sa propre culpabilité : rien ne peut réellement expier l’injustice et les assonances en [eu] mettent en écho « mon erreur », « nos pleurs », « mon malheureux fils ». De plus, l’interjection « hélas ! » vers 54, ainsi que l’évocation de Neptune par « expier la douleur d’un vœu que je déteste » sont le rappel de sa douleur et la culpabilité d’un père aveuglé par l’hybris, un orgueil fatal qu’il rejette à présent. On trouve alors un écho au vers 27 « c’est sur votre foi que JE l’ai condamné », l’emploi de la première personne du singulier, explicite la reconnaissance du rôle qu’il a tenu.
Il décide de rendre des honneurs à Hippolyte « qu’il a trop mérités » (v 58), ces honneurs qu’il mérite, encadrant l’adverbe élogieux « trop », font référence à un acte héroïque, une récompense à sa vie de vertu. C’est le retour à l’ordre, passant par la punition exemplaire de la criminelle et la réhabilitation de la victime. Enfin, Aricie trouve aussi une place digne de son rang (v. 61), une nouvelle réhabilitation d’Hippolyte : « Son amante aujourd’hui me tienne lieu de fille ».
Conclusion
À travers ce texte, on découvre la visée à la fois spectaculaire et morale de la tragédie classique. On peut également montrer que le tragique repose toujours sur une part de liberté individuelle : même si Phèdre est emportée malgré elle par la passion, sa mort volontaire, mise en scène, est l’expression de sa responsabilité et de sa volonté individuelle. Elle prouve sa capacité à maîtriser au moins sa fin. On retrouve la forme qui clôture la tragédie chez Anouilh et sa réécriture du mythe d’Antigone.
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