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J. J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

Par   •  13 Octobre 2017  •  1 638 Mots (7 Pages)  •  753 Vues

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arguments avancés ici appellent quelques commentaires :

On observera d’abord que Rousseau tourne radicalement le dos à l’exploitation récurrente de l’étymologie du mot « passion » (passivité), puisque d’emblée, il évoque leur « activité ». Il renverse donc l’usage traditionnel du terme passion, ou il lui réserve un usage paradoxal (il parle de l’activité du passif). Faute d’un élan positif ou négatif, curiosité, amour, idéal, ambition, mais aussi haine, envie, jouissance perverse, la raison demeurerait pure potentialité en sommeil. Le verbe employé ensuite par Rousseau, « perfectionner », suggère qu’il y a une orientation de l’histoire humaine et souligne que le déploiement de cette dynamique procède d’un ressort passionnel. Perfectionner signifie améliorer les produits d’un art, augmenter l’efficacité des entreprises humaines, transformer dans le sens du meilleur le donné. L’on doit donc en déduire que la véritable dynamique de l’histoire humaine n’est pas enfermée dans le travail des concepts purs d’une raison humaine qui se mettrait à l’abri des vacarmes de la vie passionnelle. Tout au contraire, c’est parce qu’elle est constamment sous la pression des exigences passionnelles que la raison accomplit ses plus hautes performances (intellectuelles et techniques) lesdites performances pouvant être heureuses comme malheureuses (les progrès du savoir, de la science, mais aussi de l’armement : la haine est un grand stimulant aussi !).

D’ailleurs l’appétit (« désirons jouir ») est donné ensuite comme le motif unique du développement illimité de la raison et de ses œuvres (« connaître »). Rousseau n’hésite pas à associer des termes a priori étrangers les uns aux autres : il donne pour cause unique (« ce n’est que parce que… ») à l’aspiration au savoir (« nous cherchons à connaître ») la recherche de l’agrément et du plaisir (« nous désirons jouir »). Dans cette perspective, la raison trouve aussi son objectif dans les passions ; elle est mise « au service des passions » puisque, plus elle fait usage de ses produits, plus elle devient féconde et plus nos passions se renforcent, trouvent de nouveaux aliments et étendent nos perspectives sur le monde.

Le propos affirme enfin, par la négative (par le recours à la fiction d’un homme sans passions), que les passions sont les seuls ressorts, la seule énergie, pour un déploiement de l’activité rationnelle. Sans mouvements de l’âme, positifs ou négatifs, (« ni désirs ni craintes »), un individu (« celui qui ») ne ferait pas usage de sa raison (« se donnerait la peine de raisonner »). Les deux passions choisies par Rousseau pour rendre compte de ce mécanisme d’association entre raison et affects, désirs et craintes, sont effectivement « stratégiques » (elles font écho à l’espoir et à la crainte chez Hume) : le désir parce qu’il est l’essence même de la vie humaine, et la crainte parce qu’elle procède directement du désir de se conserver. La raison tirerait ainsi sa substance du désir d’être ou de persévérer dans son être.

(Bilan).

Il est donc clair que la cible de Rousseau — ces fameux « moralistes » — recouvre tous les penseurs qui prétendent que la condition d’une vie noble et digne est la séparation radicale de l’entendement et des affects, de la vie intellectuelle et de la vie affective. Il suffit d’un peu de culture pour discerner donc, sous cette appellation, la tradition de la philosophie rationaliste, et tout particulièrement le stoïcisme qui prescrit de ne jamais se laisser atteindre par tout ce qui peut susciter en nous du désordre ( il prescrit l’apathie au sens positif d’impassibilité) : la maîtrise de soi passe par la préservation de l’autonomie rationnelle et la mise sous silence des images qui, en nous, suscitent de l’agitation — de la répulsion autant que de l’attirance.

Rousseau énonce donc une sorte de principe anthropologique universel : la raison ne saurait s’engendrer elle-même, elle ne trouve en elle aucun véritable dynamisme. Sa genèse et son développement procèdent au contraire de ce que la tradition désigne comme son antonyme et son ennemie : les passions.

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