Extrait de "Un coeur simple", Gustave Flaubert
Par Christopher • 10 Avril 2018 • 1 311 Mots (6 Pages) • 1 295 Vues
...
de son animal chéri que se dresse le portrait de Félicité, le "cœur simple". Ainsi, la chambre à l’air "tout à la fois d’une chapelle et d’un bazar" (l.7/8) La chambre de Félicité, remplie d’une foule de "choses hétéroclites" et d’une multitude "d’objets religieux" constitue en quelque sorte un temple des deux facteurs importants de la vie de Félicité, c’est-à-dire la religion et les souvenirs d’une vie qui semble presque antérieure. Se complaisant dans une "torpeur de somnambule" due à sa vieillesse, elle ne "communiqu[e] avec personne" et s’enferme dans une bulle remplie de souvenirs et de reliques. Elle mélange ses deux obsessions en la personne de Loulou, relique des "jours disparus" qu’elle assimile au St-Esprit d’une façon qui pourrait sembler grotesque et blasphématoire. Ainsi, Félicité vit dans une sorte de cocon, remplit d’objets dont le caractère hétéroclite est renforcé par l’accumulation d’objets incongrus les uns par rapport aux autres, comme le chapeau, le pot à eau, le ballon ou les chapelets. C’est l’idée de profusion qui s’impose à la lecture de cette description : "des médailles, des chapelets, plusieurs bonnes vierges" (l.16/17), profusion inutile qui souligne l’incohérence du personnage. Mais enfin, cette frénésie des souvenirs prend un caractère presque morbide : dans la chambre on retrouve le "petit chapeau de peluche" (l.24) de Virginie, la fille de Mme Aubain, élevée par Félicité et morte avant l’âge, la "boîte en coquillages" (l.19/20) de Victor, son neveu marin mort en mer, et "une des redingotes de Monsieur" (l.26/27), défunt mari de la maîtresse de maison.
À travers la description de sa chambre, Flaubert dresse en réalité un portrait du "cœur simple", et ainsi révèle t-il tout son art d’écrivain.
C’est ainsi que l’art d’écrire de Flaubert se révèle par sa capacité à rendre duplice la signification de l’adjectif "simple". En effet, est-ce qu’il entend "simple" au sens de simplet, naïf, un peu bête, car Félicité au fond est capable de s’amouracher d’une bestiole au fond peu intéressante ? Ou est-ce que "simple" signifie ici pur, qui n’a aucune duplicité ni perversité ? Ce texte n’est donc pas "simple" et derrière ce titre presque trompeur se cache un message plus complexe. Ce décalage pourrait révéler l’ironie sous-jacente de l’écrivain, qui ne se définit pas, caractéristique de Flaubert, par rapport à ses personnages. En effet, l’arrivée de Loulou par exemple, produit un écart entre la réalité des faits, c’est-à-dire un perroquet empaillé de manière ridicule, avec sa "noix [...] dorée" par "amour du grandiose" (l.5), et la perception qu’en a Félicité, c’est-à-dire un oiseau "splendide". Flaubert démontre donc son talent, à faire paraître simple un texte de toute évidence à deux facettes, une explicite et une implicite.
C’est ce talent qui provoque l’émotion du personnage-narrateur. En effet, le perroquet qu’a utilisé Flaubert en tant qu’écrivain émeut le personnage, qui de tout évidence admire Flaubert en tant qu’auteur de génie et non pas en tant que "misérable petit moi". Ce perroquet rend possible la matérialisation de l’écrivain, de façon que le personnage se sent en "contact étroit avec cet écrivain qui avait dédaigneusement interdit à la postérité de s’intéresser à sa personne" (l.11/12) D’autre part, le narrateur, qui admire énormément Flaubert, est ému de se retrouver en présence d’un objet ayant appartenu, et inspiré l’auteur lui-même. Cependant, on pourrait noter que le perroquet du musée Flaubert de Rouen ne possède pas de noix dorée, ceci prouvant que Flaubert a voulu, par ce détail, renforcer l’aspect ridicule du "grandiose" voulu par l’empailleur.
Ainsi, Flaubert nous présente un texte à deux facettes, preuve de son talent : d’une part, un portrait de Félicité implicite qui passe par la description de sa chambre et l’évolution de la place du perroquet dans son cœur, mais également une ironie sous-jacente à travers l’ensemble du texte, renforcée par le décalage entre les faits et le discernement qu’en a Félicité.
...