Excipit tous les matins du monde
Par Junecooper • 8 Mai 2018 • 1 896 Mots (8 Pages) • 520 Vues
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de « la musique » est celle des « regrets » et des « pleurs ». La communion se fait intuitivement avant même sa formulation dans la souffrance indicible, exprimée dans la musique.
• La cérémonie
- L’éclairage minimaliste en clair obscur mystique de l’antre du musicien (« dans le silence de la nuit… un peu de lumière… plus faible »).
- L’accueil inconditionnel (« tout à fait ») sous réserve d’un secret musical, « le regret et le pleur ».
- L’autorité d’une approche mystique : Le long silence (« ils commencèrent par se taire… ils restaient les bras ballants dans la gêne » = le début d’une rencontre dans le silence est contradictoire pourtant tout a été dit) ouvre sur le sacré et l’indicible. L’échange est rapide et saccadé avec interrogation sur l’essence de la musique, rectifications autoritaires et approche dans une démarche en apparence déductive.
Le présent de vérité générale, le vocabulaire courant et répétitif (« La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. ») et la tournure assertive autoritaire mettent en évidence une définition imparable : la musique est une puissance suggestive, comme supérieur palliatif aux défauts des mots.
L’échange rapide oriente l’élève vers l’essence de la musique par corrections successives : elle n’est pas sacrée (« Dieu parle » = la musique ne lui est pas utile), elle n’est pas concrète (but financier ou moyen de briller ou d’aimer) mais elle parle à l’invisible et recherche un temps originel, avant la naissance : un temps inaccessible au langage « le petit abreuvoir pour ceux que le langage a déserté » et la recherche d’un temps originel à savoir un retour avant l’enfance (recherche d’un temps atemporel « Quand on était sans souffle.
Quand on était sans lumière = recherche du moment intra utérin). La compréhension de la musique comme antérieure au langage humain, se fait chez Marin par l’établissement de sa parenté avec le rappel de son père métonymiquement (« les coups de marteau des cordonniers »). La musique est donc régression vers un bien-être hors du temps dans un au-delà du langage et du sujet.
3. L’union des musiciens : la transmission et ouverture
• Le rapprochement physique
La vie côtoie la mort. La compréhension de Marais qui s’ouvre à la vie autre permet la décrispation du visage figé dans la vieillesse et l’austérité « si vieux et si rigide » dans un sourire complice. La complicité est évidente malgré le fort contraste de « la main grasse » antonyme de la « main décharnée » à savoir dans un processus de dissolution.
• L’urgence de la transmission
La transmission des pièces qui sont communication avec l’au-delà : la conscience du chagrin est la seule connaissance transmissible, d’où le besoin de confier les airs qui pleurent et l’instrument de la défunte. Les musiciens s’unissent dans un sentiment commun de culpabilité de ne pas avoir été là pour la défunte. Le maître passe le relai de l’instrument d’où la tournure impersonnelle marquant la nécessité « il faut d’abord que » ; puis l’expression précipitée d’un futur proche, avec la répétition de « je vais vous faire entendre »
• L’élection de Marais
Elle est mise en valeur par la négative exclusive « je n’ai encore trouvé, parmi mes élèves, aucune oreille pour les entendre » qui signifie autant écouter que comprendre intuitivement : il y a confiance immédiate et communion indéfectible = intuition qu’il saura entendre et partager. Le futur programmatique « vous m’accompagnerez » exclut toute autre éventualité. Le verbe « confier » (dont l’étymologie latine relève du lexique de la foi et de la fidélité) repris dans tout le chapitre établit une connivence entière. Le récit se fait alors à la troisième personne du pluriel englobant le couple maître-élève dans une même action, proximité accentuée par le groupe pronominal « tous deux ».
• Le rituel eucharistique
Les gaufrettes et le vin ne manquent pas d’évoquer l’eucharistie ; le cahier rouge fait référence au livre sacré regardé pour « s’accorder ». L’un se dévoile brusquement (« ôter-jeter par terre », réchauffé dans l’antre sécurisante et paternelle ; l’autre prépare l’écriture de sa succession. La musique permet l’invocation des morts, pour préparer la mort en silence. Le peu de lumière mentionné à plusieurs reprises suggère le peu de vie et de souffle restant à Monsieur de Sainte Colombe. Le thème du clair obscur en peinture notamment dans les scènes chrétiennes évoque le départ vers l’au-delà…
• Communion dans le regard, l’harmonie de leur accord, le jeu
Les phrases très courtes donnent un tempo réglé et parfait ; les pronoms sujets unissent les musiciens dans une attitude parfaitement similaire, dans un hors temps sollicité par le son de la viole, d’où l’incongruité du présent « monte » au milieu du récit au passé. Il y a découverte ici d’un instant atemporel et pur, absolu et infini.
Les larmes et les sourires complices (les pluriels unissent les deux hommes dans leur émotion vécue de manière similaire) traduisent leur parfaite complicité soulignée par un complément de temps marquant la concomitance : « en même temps ».
L’imparfait duratif offre un temps suspendu mais ouvre sur le départ de Marin Marais à l’aube, vers un nouveau départ, même si « tous les matins du monde sont sans retour. » La connotation de l’aube est souvent le renouveau, l’avenir optimiste, dans la sensation d’une continuité…
L’essentiel
La transmission des savoirs désigne clairement Marais comme le successeur de Sainte Colombe, non sans souffrances. En effet, l’élève est parvenu à ses fins, à connaitre ce qui eût pu être perdu à jamais. Ainsi, la fin expose l’union finale du janséniste et du courtisan ayant réalisé son parcours initiatique.
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