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Essai théorie critique: "Combray" (La Recherche, Proust)

Par   •  15 Octobre 2018  •  3 434 Mots (14 Pages)  •  385 Vues

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II-Le temps de la narration

On dit souvent que Proust a tendance à négliger la chronologie. Mais cela ne signifie pas que l’ordre temporel est absent de la Recherche. Le roman a certes une temporalité très complexe, des fils du temps différents s’entrelacent et en effet, le narrateur use de nombreuses analepses, prend du recul et analyse son enfance. Les retours dans le passé, les digressions du narrateur sèment la confusion dans l‘esprit du lecteur, qui ne sais plus s’il a affaire au narrateur du passé, ou au narrateur se souvenant de son passé. Il y’a donc une temporalité ambigüe par cette présence d’un narrateur double (l’homme du présent et l’enfant de ses souvenirs). Jean Yves Tadié dit dans Proust et le roman : « La création romanesque de Proust s'appuie sur deux formes essentielles, le "je" et le "Temps". La première unifie les perspectives du récit, soumet les héros à un point de vue central ; la seconde contrôle le déroulement du roman, l'histoire de la vocation du narrateur et la vie des personnages. Ce sont les deux formes de la sensibilité du romancier, son esthétique transcendantale. » En effet La technique narrative, et plus précisément la disposition des événements dans le temps de la fiction est troublante. Cependant, le lecteur peut y trouver une sorte de logique, un procédé de narration continu dans cette chronologie bousculée. Ces procédés permettent au lecteur de regrouper les faits et les événements dispersés le long d'une ligne chronologique continue : lorsque le narrateur relate un après-midi, une soirée, une journée, il utilise le moment choisi comme point de départ pour décrire des événements antérieurs ou postérieurs. Ainsi, au cours de la soirée chez la princesse de Guermantes, le narrateur nous informe de la situation de la plupart des invités et il annonce le déclassement du baron de Charlus, l'attachement de la princesse pour lui, et le déclin progressif de la position sociale des Guermantes. Chaque personnage porte, liées à son apparition présente, les dimensions de ce qu'il a été, de ce qu'il est pour les autres et de ce qu'il deviendra. Les digressions ne sont pas de simples taches semant la confusion : elles approfondissent notre perception de la situation donnée. Proust a laissé tomber le temps linéaire de Flaubert et des naturalistes pour une temporalité regroupant les évènements entre eux, sans qu’ils se suivent nécessairement dans la chronologie. La plupart des parties du roman sont présentées de cette façon comme des points de repère, et certaines sont encore distendues par le récit d'événements antérieurs ou postérieurs de la même journée. Ce temps étiré de manière interminable semble être perdu à jamais, tant pour le narrateur que pour le lecteur. C’est là un parallélisme possible avec le titre, « A la recherche du temps perdu. » Le narrateur est occupé à se rappeler le temps passé, qu’il ne vit même pas le temps du présent. Ce regard en arrière est empreint de nostalgie, de tristesse. Il y’a un refus d’accepter que ce temps soit fini, qu’il ne reviendra plus. Peut-être peut-on faire un lien entre la longueur des phrases et la longueur de la temporalité fictionnelle : le lecteur attend la fin de la phrase comme il attend la fin de la temporalité.

Cette nostalgie du temps perdu se reflète dans les évocations précises et détaillées de nombreux souvenirs. Ce passé, ce temps perdu est accessible au narrateur par petites bribes, grâce à certains objets, sons, odeurs le ramenant en arrière : « Il en est ainsi de notre passé. C'est peine perdue que nous cherchions à l'évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel), que nous ne soupçonnons pas. » C’est ainsi qu’une simple madeleine devient le symbole du souvenir chez Proust, cette « madeleine de Proust » devient la définition même de réminiscence. « Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas. » Il s’agit pour Proust, dans cette ouverture de “à la recherche du temps perdu”– on peut parler en termes d’opéra- de mettre en place les personnages et les lieux qui vont le hanter tout le long : la tante Léonie bien sûr, M. Legrandin, l'ingénieur "artiste" qui passe ses vacances dans sa propriété de Combray; Eulalie, visiteuse de malades et pourvoyeuse de nouvelles, unique lien social de la tante Léonie; puis l'oncle dans le cabinet duquel le narrateur se réfugie parfois pour lire. De cette galerie de portraits, naît un sentiment chez le lecteur, de « déjà-vu». Chaque détail transcendé par le style de l’auteur invite le lecteur dans une rêverie qu’il peut faire sienne à tout instant en explorant son propre passé par le biais de ses sens, où saveurs, odeurs, et objets renferment un monde infini. Ce sont autant de touches sensibles et révélatrices.

III- l’ébauche de l’expérience et de la culture du narrateur

À Combray, le temps s’écoule au même rythme que le mouvement de la nature,Proust dit même : « Une heure n'est pas qu'une heure, c'est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. » Le narrateur perçoit le monde par les sens. L’histoire importe finalement bien peu : tout n’est que sensations et perceptions, abordées de plein de points de vue différents à des époques différentes. Il y a une volonté de saisir le réel dans son exhaustivité. Comme l’avenir, le passé offre plusieurs voies d’exploration à l’image du choix qu’offrent les deux promenades « du côté de Méséglise » et du « coté de Guermantes ». L’une évoque plutôt l’automne, la mort, tandis qu’en passant devant le château de Guermantes, le narrateur rêve qu'il y entre sur un caprice de Mme de Guermantes et fait ainsi la première allusion à son désir de devenir écrivain. De là à imaginer le château de Guermantes comme l'allégorie du monde des Lettres. Ainsi lorsqu’il a enfin l’opportunité de contempler Mme de Guermantes lors de la cérémonie du mariage de sa fille à Combray, il y remarque un nez proéminent et il est déçu. La réalité, une fois encore, fait basculer la rêverie gothique car il l'imaginait plus comme une enluminure que comme une femme. Il relie trop les personnes avec l'environnement, elles se fondent ainsi aux éléments dans lesquels elles évoluent. La promenade, fil conducteur du rêve et de l'imagination, se poursuit, nourrie de soleil, d'odeurs et d'impressions

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