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Phèdre, scène 3 acte I

Par   •  22 Mai 2018  •  2 777 Mots (12 Pages)  •  521 Vues

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Phèdre est en proie à l’amour et dotée d’une raison totalement égarée qu’elle évoque au v 276 « âmes éperdues » et au v 282 « raison égarée ». Elle ne peut en effet s’empêcher d’idéaliser Hippolyte par l’utilisation du champ lexical de l’idéalisation au v 285-286 « quand ma bouche […] j’adorais Hippolyte »,

v 288 « ce dieu » et au v 292 « j’excitai mon courage […] idolâtrer » La passion de Phèdre transforme Hippolyte en divinité à laquelle elle rend un culte. L’amour de Phèdre aliène sa volonté malgré ses sursauts de révolte ou de fuite. Elle n’agit plus par raison mais par passion, soumise ainsi à ce qui la fait souffrir. La force contradictoire de cette passion qui la submerge se retrouve dans la gradation v 273 : « je le vis, je rougis, je palis à sa vue » devant son « superbe ennemi », « l’ennemi dont j’étais idolâtre » et « une flamme noire » périphrases et oxymores qui témoignent une fois encore de sa confusion. Le champ lexical de la souffrance, de la blessure ou de la maladie montrent cet amour comme un « mal ». Phèdre associe l’ « ardeur » à la cruauté de vénus et la « flamme » au « noir » qui traduit son caractère criminel. La métaphore filée du feu permet de mesurer à quel point ce feu la consume, la noirceur suggérant ainsi le crime et la fatalité macabre dont elle est victime, de plus c’est face à ce feu qu’elle « tremble » et « frissonne ». L’amour vu sous cet angle est alors souffrance mortelle, esclavage et honte.

On connait la femme possédée par l’amour : son ardeur aboutit à de nombreux troubles physiques, des sens non contrôlés, et des troubles psychologiques. Phèdre passe de l’idolâtrie et l’obsession à l’angoisse et le désir de mourir au v 308-309 « j’ai pris la vie en haine […] gloire » Face à cette situation, Phèdre est seule. Elle a usé de tous les moyens possibles pour lutter contre sa passion : des tentatives pour calmer Vénus au v 279-281 « Par des vœux assidus […] à toute heure entourée ». Les prières, offrandes aux temples et sacrifices restent vains. Elle fuit devant Hippolyte mais l’échec de ses tentatives tient à la volonté de Thésée lui-même qui l’a emmené à Trézène rejoindre son fils avant de repartir en voyages aux v301-304 « vaines précautions […] éloigné » Seule, Phèdre ne peut réussir. C’est aussi la raison pour laquelle elle avoue tout à Oenone, en adoptant un parfait registre lyrique, avec cette tirade, la femme seule clame son désarroi. S’associe à ce registre, le registre pathétique. En effet, horreur et compassion pour elle-même sont les sentiments contradictoires qui agitent Phèdre devant une faute dont elle se sent à la fois coupable et innocente. Son horreur d’elle-même s’exprime par un honte traduite par sa « rougeur » liée à la culpabilité la poussant à écourter sa vie et à nommer deux fois sa passion « crime » v241 et v 266. Le terme d’ « horreur » qualifie sa passion et le sentiment qu’elle suscite : elle a pris « sa flamme en horreur » et pense qu’Oenore frémira « d’horreur », car elle-même considère cet amour comme le « comble des horreurs ». Sa compassion pour elle-même se traduit par ses plaintes sur son sort à l’aide de nombreux phrases exclamatives de déploration : v289 « O comble de misère ! » et v 301 : « cruelle destinée ! » et par le sentiment de l’accablement devant la fatalité inéluctable qui la poursuit par la faute de Vénus v257-258 et provoque les malheurs de sa famille dont elle est aussi victime v249-254.

En proie à l’amour, Phèdre est aussi en proie à une fatalité implacable, infligée par les Dieux. Racine opère dans ce passage tous ce qui construit le genre tragique en employant la plupart des procédés du registre tragique. La fatalité est construite dans l’aveu même. Du 249 au v 258 « O haine de Vénus […] la plus misérable », le rappel du passé rattache la passion de Phèdre à la malédiction lancée par Vénus sur sa famille et qui a déjà atteint sa mère et sa sœur : celle des amours interdites et maudites. Il l’inscrit dans la lignée des victimes de la fatalité. Du v269 au v 308, « Mon mal vient de plus loin […] ma flamme en horreur, le recours au passé est une justification de Phèdre par elle-même qui témoigne de son impuissance devant cette passion irrésistible. Ce rappel tente de montrer l’absence de responsabilité de Phèdre et met l’accent sur la responsabilité de la fatalité dans son amour coupable. Il a aussi une fonction pathétique, cherchant à attirer la pitié du spectateur sur l’héroïne.

L’héroïne tragique est souvent victime de son sort. On l’a vu, Phèdre n’est pas directement concernée par la vengeance des Dieux, outre ses aïeuls, elle rejette la responsabilité sur d’autres personnages. Elle déplore dès le « O haine de Venus » au v 249 la fureur de la déesse qui poursuit sa famille de sa vengeance en l’accablant d’amours impossibles. Elle rejette la responsabilité sur Oenone qui a osé prononcer le nom interdit par Phèdre au v 205, nom que Phèdre elle-même a fait interdire, espérant ainsi éloigner son souvenir. Ainsi elle reporte deux fois sur elle la responsabilité de son aveu au v 246 « tu le veux, lève-toi » et au v 264 « c’est toi qui l’as nommé ». Elle rejette aussi la faute sur Thésée lui-même au v 290 puisqu’elle voit en lui l’homme qu’elle aime. Elle ne peut donc arriver à l’oublier et les v 302-304 « par mon époux lui-même […] ennemi » soulignent que c’est à cause de Thésée qu’elle revoit Hippolyte et succombe une nouvelle fois à son charme.

A travers l’impuissance humaine face aux lois de la vengeance divine, on retrouve une des caractéristiques de l’héroïne tragique : la lucidité. Elle sait que quoiqu’il arrive, elle restera soumise à cet amour voulu par Vénus. Elle reste consciente de son destin dès le début, elle sait qu’elle court à sa perte puisqu’elle prend la peine de détailler son « mal » en commençant à évoquer, avant tout autre chose, le destin acharné de sa famille et s’incline dès le v 256-257 « puisque Venus le veut […] la plus misérable ». Au sein même de la tirade, on peut souligner l’alternance de l’imparfait qui marque une situation équilibrée jusqu’au v 272 « Athènes […] ennemi » et du passé simple pour évoquer l’irruption de l’amour et de ses effets. Les imparfaits de répétition révèlent la lutte inutile aux v 279-280 et les tentatives réitérées au v282-290 et laissent place à un passe simple qui soulignent des sursauts v 291 – 295 « j’osai », « j’affectai », « je pressai » puis, on retrouve un instant l’imparfait marquant l’équilibre.

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