Le Temprs retrouvé, Proust
Par Orhan • 15 Septembre 2018 • 5 191 Mots (21 Pages) • 476 Vues
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De plus, outre le fait que cette métaphore mette en avant la violence du temps et de la vie à l’égard des êtres humains, elle accentue la description du duc et prouve que sa transformation est impressionnante. Tout d’abord, cette dernière est importante puisque le narrateur, qui semble avoir bien connu le protagoniste, avoue à la ligne 3 : « Je ne l’avais pas aperçu et je ne l’eusse sans doute pas reconnu, si on ne me l’avait clairement désigné ». Le lecteur, avec cette répétition de l’impossibilité pour le narrateur de reconnaitre le personnage, peut comprendre que la transformation est telle, que le temps a fait de tels « ravages », que le personnage est méconnaissable, comme peut l’être un paysage après le passage d’éléments déchainés comme dans les comparaisons avec le temps. Le pléonasme à la ligne 10 « plus ancienne qu’autrefois » prouve également que le personnage est comme un vestige du passé, qu’il est extrêmement vieux puisque « autrefois » se réfère déjà à un passé lointain. Il ne reste de lui qu’une figure « rude et rompu » (l.11), la dureté et la vieillesse de ses traits ainsi mis en avant par l’allitération en [r], et par-dessus tout, « il n’était plus qu’une ruine » (l.4). Ce qu’il était autrefois n’est plus, ayant totalement disparu face à la vie et au temps qui passe, comme s’il n’était dorénavant plus rien, seulement une vieille « chose », un vestige des temps anciens, comme si tout ce qui le caractérisait était sa vieillesse. Ce constat au début du passage ne s’arrête pas là puisqu’il y a un effet d’accumulation, de preuves sans fin d’une vieillesse qui s’accentue et qui fait des ravages avec l’anaphore de « Et » aux lignes 14 et 18. De nombreux éléments semblent donc mettre en avant le changement physique majeur qui s’est opéré pour le duc, le rendant vieux et dorénavant proche de la mort, mais qui ne lui ôte cependant pas toute sa beauté d’antan et la possibilité de le comparer de manière artistique.
La vieillesse, pour le narrateur, n’apparaît pas seulement comme un état négatif puisqu’il en fait une description honnête mais réussit dans le même temps à montrer qu’il peut s’agir de quelque chose de beau. Tout l’extrait existe en montrant une opposition entre le passé avec « jadis plus brillante » (l.11) et « chevelure moins épaisse » (l.17) par exemple, et le présent qui montre ce qu’est devenue cette personne. Cependant les éléments du passé, qui ont déjà été mis en avant dans une première partie, sont la plupart du temps suivis d’une précision positive sur cette vieillesse. Ainsi « Il n’était plus qu’une ruine », ce qui peut sembler péjoratif, « mais superbe » (l.4) et il est même « cette belle chose romantique que peut être un rocher dans la tempête » (l.4/5). Dorénavant, il est et restera une sorte de vestige du passé, de preuve de vécu et d’une transformation physique qui peut sembler négative puisque la beauté physique, les signes de la jeunesse et de la vie qui s’offrent à nous ont ici disparus ; pourtant, l’auteur parvient à trouver une nouvelle beauté dans cette métamorphose qui a eu lieu. Cette « ruine » reste ainsi superbe et ce « rocher » devient une « belle chose romantique ». Peut-être que le rocher transmet cette vision des choses au narrateur du fait de ce « moi » qui s’est battu pour en arriver là, de ces transformations qui prouvent le vécu mais qui n’empêchent pas l’être de continuer à s’affirmer face à son destin qui est la mort. De plus, cette comparaison au rocher renforce l’immutabilité malgré les aléas du temps et le déchainement des éléments, telles que les « vagues » (l.6) ou encore le rythme ternaire présent dans cette même phrase qui renforce l’idée de tempête, puisqu’ils prouvent cette violence auquel le duc a survécu. Le visage « jadis épanoui » (l.14) et la perte de cet épanouissement ne veulent donc pas dire que la vieillesse est affreuse, comme si elle devait être dénigrée ; au contraire, le narrateur parvient à lire entre les lignes et à rendre compte d’une beauté toujours visible, certes changée mais qui peut encore être perceptible. Cette vieillesse, à la fois effrayante et magnifique, semble effectivement fasciner le narrateur.
Outre l’indubitable changement qui s’opère physiquement et mentalement pour une personne qui vieillit, une personne d’un certain âge garde tout de même en elle des éléments du passé. Comme nous l’avons remarqué, le duc est méconnaissable physiquement par rapport à ce qu’a connu le narrateur des années auparavant. Cependant, le narrateur est apte à retrouver certaines particularités qui semblent être constitutives de l’être qu’il a connu, sa « figure » notamment « gardait le style, la cambrure qu’[il] avai[t] toujours admirés » (l.7/8). Il y a ainsi quelque chose d’inaltérable en l’homme : sa prestance. La beauté physique s’évade, les « expression[s] » (l.12) peuvent évoluer mais ce qui fait la particularité du caractère d’un homme, tel que l’humour, le charisme ou encore bien d’autres choses, ne peut être dénaturée par la vieillesse et le temps qui passe. C’est ainsi l’être lui-même, sa façon d’avoir évolué, d’avoir vieilli mais d’être resté le même au fond, qui rend la personne belle pour la personne qui décrit le duc. Quelqu’un qui a vécu évolue en effet forcément, comme nous pouvons le voir aux lignes 11 et 12 puisqu’ « à l’expression de finesse et d’enjouement avait succédé une involontaire, une inconsciente expression ». La souffrance engendrée au cours d’une vie semble bien connue par les personnes âgés, qui sont tout de même toujours parmi les êtres vivants et qui réussissent à trouver la volonté de vivre encore, et donc sont encore capables de potentiellement souffrir. C’est ce combat mené pour la vie et qui est visible physiquement chez le duc de Guermantes, que s’attache à mettre en avant le narrateur. Cette fascination est notamment exaltée grâce au style d’écriture de Proust, description presque poétique avec les adjectifs placés avant les noms qu’ils définissent, comme en anglais, les nombreux rythmes ternaires tel qu’aux lignes 5 et 6 par exemple avec « Fouettée de toutes parts par les vagues de souffrance, de colère de souffrir, d’avancée montante de la mort qui la circonvenaient, sa figure […] », par l’utilisation d’une sorte de suspense en plaçant le sujet à la fin de la phrase comme c’est le cas dans la citation précédente, ou encore avec l’utilisation de nombreuses comparaisons et de métaphores filées à travers le portrait, qui permettent au lecteur de s’imprégner de la description, de ce souvenir du passé révolu.
Fasciné
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