Grand Bal du Printemps, Israel Bidermanas
Par Andrea • 24 Octobre 2018 • 1 292 Mots (6 Pages) • 423 Vues
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Le rythme de la seconde strophe annonce aussi la pause, l’arrêt contemplatif du photographe: 12/7/4. La périphrase “petites annonces de la vie” pour affiche, illustre l’art du passant. Le mot “vie” en fin de vers rime par assonance avec le vers 5, ce n’est pas tant devant une banale affiche que le passant écarquille les yeux, mais bel et bien devant le spectacle de la vie.
Deux autres périphrases désignent l’artiste: “colporteur d’images”v11, et “musicien ambulant”v13. Prévert montre comment Izis se met à la portée de son sujet, il se fond dans le décor de la rue.
Le colporteur d’images est à la photo ce que le poète est au langage: il transporte la beauté de quartier en quartier, la rendant accessible à tous, comme le poète dévoile la beauté du monde. Il renoue avec un art populaire, le colporteur est un trait d’union culturel entre les quartiers et les hommes, il facilite la transmission des idées, et des savoirs: il en va de même du colporteur d’image. Mais c’est aussi un musicien malgré lui “même sans le savoir”
En effet, à coté du vocabulaire de la lumière, celui de la musique est largement développé: “Grand Bal” v4“musicien ambulant”v13, “joue”v14 “Sacre du Printemps”v15, “le même air” v17. On peut faire un parallèle entre le vers 4 “Grand Bal du printemps” et le vers 16 “le Sacre du Printemps”: Prévert affirme ici sa conviction de l’existence d’un art populaire en faisant un rapprochement par la rime entre le bal populaire, et un morceau célèbre de musique symphonique. Ensuite, le chiasme aux vers 19/20 “ tempérer l’espace/ espacer le temps”nous montre comment la musique, comme la photographie modifie nos conceptions de l’espace et du temps, et sait capter la magie de l’instant. Ainsi, l’art réconcilie ceux que la société oppose, et permet de transfigurer la misère.
Le printemps est un des acteurs de cette transfiguration: saison de la métamorphose par excellence, il est évoqué deux fois, et à chaque fois enrichi d’une majuscule. Le passage de l’hiver au printemps se fait d’un vers à l’autre (v15/16): les noms des saisons sont placés à la rime, Prévert matérialise l’importance du printemps par l’usage de la majuscule, pour la deuxième fois. L’hiver quant à lui est relégué au rang de nom commun. “hiver” rime avec “air”, “Printemps” avec “bouleversant”: c’est la saison qui annonce l’espoir, qui fait naître les émotions.
Mais on peut voir aussi que la métamorphose est réciproque: Izis dévoile la beauté au milieu de la misère, à la manière d’un prophète, il voit et traduit le monde, et cette découverte le transforme aussi, et lui apprend son art à chaque instant. Les vers 21/22 et 23/24 témoignent de cette réciprocité: à l’actif “ des choses et des êtres qui l’ont touché” fait écho le passif” ces choses et ces êtres ont été touchés aussi” . Enfin, le “pauvre quartier” transformé, semble se parer de mille atours, comme pour aller au bal justement, pour plaire au photographe: ”ce petit monde, avec toute sa lumière, s’est fait une beauté pour lui”. On notera dans cette strophe, l’antithèse “misère/lumière” à la rime, qui souligne encore davantage le lien que l’auteur et le photographe humaniste voient entre elles.
Dans ce poème, Prévert révèle comment la beauté se cache dans chaque élément qui nous entoure, aussi prosaïque puisse-t-il sembler. Ici c’est un quartier apparemment sans attrait particulier du Paris d’après guerre, dont le photographe, puis le poète révèlent la magie cachée dans ces lieux. Cette collaboration entre les deux hommes se prolonge dans un album reprenant soixante deux photographies d’Izis, à chaque fois illustrées par un texte de Prévert, et qui porte le titre de ce poème incipit, que le poète dédie au photographe.
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