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Mais quand un voyage géographique ne permet plus de dépayser le lecteur, l’écrivain choisit d’avoir recourt à l’éloignement temporel synonyme souvent de quelque chose de merveilleux. L’auteur nous y emmène souvent grâce au fameux « il était une fois ». Cet éloignement temporel, on l’appelle l’âge d’or mythique. C’est une période mythique de l’humanité que d’anciens écrivains ont développé dans leurs œuvres. Ce recours à une époque passée indéterminée permet de faire ressurgir les vieux rêves de l’humanité, des aspirations fondamentales au bonheur et à l’égalité des chances. Mais l’objectif est le même : celui d’étonner de faire rêver.

Insensiblement, sans s’en rendre compte, nous pouvons passer d’une réalité estompée par l’éloignement, au lieu de nulle part, qui est l’utopie. L’auteur, ou le conteur, crée alors un monde sur mesure, conforme en tout point à ses désirs.

Une utopie sociale ou politique invente une société ou un gouvernement idéal. Débarrassé de tous les côtés sombres, en ne prenant pas en compte l’histoire, il élabore un système neuf, parfait. Reprenons le même exemple avec Candide. Voltaire a décrit dans Candide son utopie avec Eldorado. C’est là que règnent la sagesse, l’égalité, le mépris des richesses, le culte des vraies valeurs, la paix. Mais Candide, à la recherche de son bonheur personnel, ne peut rester dans ce monde préservé et doit continuer son périple. Son voyage achevé, ce héros va connaitre une forme de l’utopie, mais à moins grande échelle : société familiale ne voulant pas croire aux horreurs de la folie meurtrière des puissants.

Mais pour que l’utopie puisse fonctionner correctement, le lieu qu’elle occupe doit avoir été préservé, la société qu’elle abrite ne doit pas avoir été contaminée par les faiblesses, les erreurs et la folie de l’humanité ordinaire. C’est aussi pourquoi Voltaire dans Candide a placé Eldorado dans de hautes montagnes inaccessibles. Les créateurs d’utopie ont également apprécié l’ile comme endroit isolé.

Pourtant la pensée utopique ne se contente pas de présenter un modèle idéal à la réflexion de ses lecteurs. Par un regard spéculaire, elle se livre à des allers-retours entre l’exemple et les réalisations imparfaites, voire contrefaites de l’esprit humain déraisonnable.

L’évocation de mondes très éloignés de notre permet donc aux écrivains de faire réfléchir leurs lecteurs sur la réalité qui les entoure. Soucieux de pratiquer l’art de plaire pour enseigner, les auteurs cherchent à nous séduire par l’exotisme ou la description de contrées mythiques. Ces lieux lointains deviennent le support de l’utopie, expression de valeurs philosophiques, morales, ou religieuses. Ils permettent également par comparaison de juger sans concession la réalité contemporaine, puis de proposer d’hypothétiques voies d’amélioration dont on constate qu’elles sont pour l’essentiel un retour vers le passe. L’utopie n’est donc pas gratuite, mais entend délivrer un constat critique et des leçons morales. Au XXe siècle, il va muter vers la contre-utopie, qui a été « instaurée » par les totalitaristes.