Corpus: Beaumarchais, Molière, Giraudoux
Par Orhan • 28 Mars 2018 • 2 067 Mots (9 Pages) • 389 Vues
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emblématique de la comédie. Au niveau des personnages, la comtesse ne sait pas quel rôle jouer ni quel mensonge développer, en conséquence elle multiplie les supplications, notamment avec cette énumération, ligne 8 : « Je m’ôterai, Monsieur, je me lèverai ; je vous remettrai même la clé du cabinet » et les plaintes : « Oh ! Ciel ! Il va périr. » ligne 14. Ce rythme est aussi retrouvé au début de la scène 19, lorsque le couple commence à se disputer. Le comte ne supporte aucun reproche et juge son action fondée. Il veut rester en position de dominant, malgré ses torts : « Vos folies méritent-elles de la pitié ? - Nommer folies ce qui touche à l’honneur ! » ligne 30 et 31.
Il s’agit aussi pour l’auteur de faire une parodie de la tragédie. La jalousie du Comte, poussée à l’extrême, se met en scène et offre au spectateur l’image avilie de ce grand seigneur. Soupçonneux, craintif, il s’emporte et ne se maîtrise plus : « Furieux » il se laisse dominer par la colère : « Et vous vouliez garder votre chambre ! Indigne épouse ! » ligne 1. La frayeur apparente de la comtesse est elle aussi surjouée. L’utilisation des didascalies ou de phrases telles que « se jette à genous, bras élevés » ligne 3, «Oh ! Ciel ! Il va périr ! » montrent le surjeu et l’hyperbole qui font du passage une parodie du mélodrame.
Malgré le retournement de situation, le couple continue de se déchirer. La comtesse accuse son mari d’être trop méfiant et peu présent : « Me suis-je unie à vous pour être éternellement dévouée à l’abandon et à la jalousie ? » l.34, et se place ainsi en position de victime. Il s’agit donc d’une scène qui pourrait être dure et pathétique, mais Suzanne transforme la situation en jeu. Elle se moque de son maître (et parallèlement, assure le comique des scènes) et ce dernier ne le comprend pas, grâce à des comiques de mots tels que « « Je le tuerai, je le tuerai. » Tuez le donc, ce méchant page ! » ligne 16, « Et moi, Monseigneur ? » ligne 25. Il y a donc une inversion des rôles maître/valet, typique de la comédie, qui permet à Suzanne de désamorcer la situation et d’atténuer sa gravité.
Si cette pièce est essentiellement comique, elle cache néanmoins un message moral, révélateur d’inégalités sociales.
On remarque au premier abord, l’évolution des rapports de force du comte et de sa femme. Au début du texte, La comtesse est dominée, et son mari marque la supériorité dans le couple. Alors qu’elle se lamente et implore son pardon, il l’insulte et ne cesse de la culpabiliser : « Indigne épouse ! » l.1 « Vos frayeurs aggravent son crime. » l.5. Mais ce rapport de force s’inverse au fur et à mesure du texte, marquant l’humiliation du comte et montrant le changement d’attitude de la comtesse : elle a maintenant une emprise totale sur son mari, qui offensé, avoue sa défaite : « Tu as raison, et c’est à moi de m’humilier … Pardon, je suis d’une confusion ! ... » l.36.
A travers le personnage du comte, c’est l’homme du XVIII s. qui se voit être humilié. Effectivement, Beaumarchais use ici d’un comique de caractère pour faire une satire de la noblesse masculine. Violent, le comte menace d’enfermer sa femme (« Et vous vouliez garder votre chambre ? […] Vous la garderez longtemps. » l,1) l’insulte, et se permet de la tromper sans admettre la réciprocité de ce libertinage. Sa violence est aussi exprimée envers Chérubin, qu’il pourrait aisément tuer et non pas juste chasser : « que j’en chasse un insolent, de manière à ne plus le renconter nulle part. » l.2. De plus, il est montré comme naïf, presque idiot, puisqu’il ne voit à aucun moment que les deux femmes qui l’entourent se moquent de lui : « Quoi, Madame, vous plaisantiez ? » l.27. L’auteur dresse donc un portrait peu flatteur de l’aristocratie masculine, puisqu’il la décrit comme tyrannique et sotte, et il faut se rappeler qu’à cette époque les hommes pouvaient tromper leur femme en tout impunités, alors que les femmes devaient rester vertueuses.
En revanche, il s’agit aussi pour le dramaturge de remettre en question la place de la femme dans la société, et d’en faire ici un éloge, car la défaite du comte équivaut à la victoire de Suzanne et de la comtesse. Cette dernière, après avoir repris le dessus sur son mari, et donc après lui avoir fait croire ce qu’elle voulait, arrive à obtenir un pardon de sa part. Elle lui reproche qu’en plus d’être jaloux, il ne porte plus aucun intérêt pour elle, alors qu’elle lui a toujours été fidèle et l’a toujours aimé. : « Me suis-je unie à vous pour être éternellement dévouée à l’abandon et à la jalousie, que vous seul osez concilier ? » l.32-33. De surcroit, la comtesse s’accuse à la place de Chérubin. Elle porte donc la culpabilité et cela montre sa grandeur d’âme, qui fait entièrement contraste avec la violence brutale du comte : « Il n’est pas coupable, il partait ; c’est moi qui l’ait fait appeler. » l.6. Les deux femmes s’avèrent être plus rusées que le comte, et jouer la comédie au point qu’il ne se doute pas de la supercherie.
L’examen du texte a donc permis de montrer que cette pièce consistait à faire rire le public devant un homme en fureur, en soif de vengeance et en quête d’honneur, qui se retrouve bel et bien piégé. L’excès dans le jeu des émotions et le rapide retournement de situation prête à la risée, mais à travers cette comédie, Beaumarchais nous fait également songer à la condition des femmes de l’époque. Oppressées par l’aristocratie qui leur demande fidélité et une extrême rigueur , elles vivent avec des hommes qui pensent avoir tous les droits, même les plus injustes.
Par ce genre d’attaque, Beaumarchais rejoint Voltaire et les philosophes des Lumières. Il est donc possible de comparer ce texte à Mme de la Pommeraye de Diderot, qui lui aussi met en avant l’inégalité des droits homme-femme.
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