Commentaire de Texte Balzac Illusions perdues
Par Christopher • 2 Avril 2018 • 3 094 Mots (13 Pages) • 841 Vues
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son individuation : « chaque femme ». Sans le savoir, sans le vouloir, les Parisiennes initient Lucien à l’élégance, par le plaisir des sens.
Nous avons déjà signalé l’importance de la vue, « jolies, élégamment » ; mais le plaisir olfactif contribue aussi à cette initiation: « si fraîchement » évoque des parfums agréables. L’exaltation de Lucien se manifeste aussi par l’intensité des adverbes exclamatifs « si élégamment, si fraîchement », ou par des louanges hyperboliques : « délicates inventions par lesquelles se recommandait chaque femme ». Tous les termes qui désignent ces femmes sont extrêmement élogieux. Leur créativité est mise en valeur, le détail de leur inventivité « délicate ». Ce sont des artistes de la mode.
Il s’agit donc d’une révélation pour Lucien, d’un moment décisif de sa vie. Il vient de découvrir l’élégance et la frivolité. Une question se pose alors : a-t-il été initié à l’art ou à l’artificialité ?
Cette expérience décisive le pousse à rejeter son passé.
Une comparaison entre Angoulême et Paris s’organise en forme de répudiation
Il rejette d’abord son passé et un lieu : « la province ». Il méprise ses origines. Le voici qui tire un trait, en vrac, sur une « grande quantité » de croyances. « ses idées » qui sont, une masse de préjugés, de stéréotypes… Tout ce qu’il pensait est périmé. Face à la séduction de ce nouveau monde, nous pouvons imaginer ce qu’il reproche à ce passé, le contraire de ce « cercle (qui) s’élargissait » c’est-à-dire un espace étriqué, limité, borné.
Mais cette découverte de l’élégance des Parisiennes le conduit aussi à rejeter la femme qu’il aimait. Dans une soudaine prise de conscience marquée par la rapidité du passé simple : « lui fit remarquer », les yeux de Lucien, s’ouvrent, se dessillent, comme dans les contes où le personnage subit une révélation. « La vieillerie de la toilette de Mme de Bargeton » signale bien que Lucien vit maintenant à une autre époque. Mme de Bargeton appartient à la préhistoire. C’est une antiquité. « Ni les étoffes, ni les façons, ni les couleurs n’étaient de mode. » le regard de Lucien détaille ce qu’il voit, analyse, compare, établit des conclusions. La répétition de la conjonction de coordination privative « ni » dresse la liste de tout ce qui fait tort à la provinciale Mme de Bargeton. Le résultat est nul à la fois dans le choix des tissus, des coloris, de la coupe, du modèle. En une phrase lapidaire il rejette Mme de Bargeton dans un passé qui lui fait honte. Il s’agit bien d’une répudiation amoureuse. Une fois la prise de conscience amorcée, l’engrenage du désenchantement se développe. Les cheveux qui sont un élément essentiel du fétichisme amoureux sont déconsidérés : « La coiffure qui le séduisait tant à Angoulême lui parut d’un goût affreux » Le jugement est sans appel. Aucun modalisateur. « Affreux » sonne comme le glas de cet amour.
« Va-t-elle rester comme ça » Le discours intérieur s’ajoute au regard de Lucien. Le jeune homme se transforme en goujat, en mufle. L’expression pauvre, ordinaire, méprisante, « comme ça », marque le dégoût et le dépit du personnage, sans doute honteux d’être l’amant d’une femme « comme ça ».
Lucien est donc à l’aube d’une nouvelle vie. Cette scène marque la fin de son attachement pour sa Province et de son amour pour madame de Bargeton, ainsi que le début d’un engouement pour les Parisiennes.
III La présence d’un narrateur qui tient les ficelles et commente en moraliste.
Balzac a formé le projet d’écrire l’histoire d’une société : La Comédie humaine. Il commente ce qu’il est en train d’écrire. Dans cette perspective, un grand nombre de phrases sont prises dans une énonciation en écho. On entend la voix du personnage et dans un décalage savoureux, celle du narrateur. Par exemple, la phrase : « Cette soirée fut remarquable par la répudiation secrète d’une grande quantité de ses idées sur la vie de province » est une sorte de bilan ou de sommaire. En quelques mots, le narrateur commente et résume le passé du personnage.
Le plaisir que nous prenons à lire ce passage tient donc aux intentions du narrateur que nous percevons entre les lignes. La plus flagrante tient à la double désillusion de cet épisode. En effet, ce que pense Lucien de madame de Bargeton, cette dernière va aussi le penser de lui. Le redoublement est comique. Par une sorte d’équité, le narrateur retire tout pathétique à cette scène et rétablit une sorte de justice. Si Lucien est déçu et rompt mentalement, Madame de Bargeton lui rend la pareille. Les amants sont à égalité. Il n’y a pas de perdant.
Comment Balzac organise-t-il cette double répudiation ?
Une phrase précise ce parallèle de la désillusion : « Les yeux de Lucien faisaient la comparaison que Mme de Bargeton avait faite la veille entre lui et Châtelet ». Que reproche-t-elle à Lucien ? « Malgré son étrange beauté, le pauvre poète n’avait point de tournure. Sa redingote dont les manches étaient trop courtes, ses méchants gants de province, son gilet étriqué, le rendaient prodigieusement ridicule auprès des jeunes gens du balcon. » Les adjectifs qualificatifs, loin de le « qualifier », le disqualifient au contraire, se chargent de le rabaisser aux yeux de Mme de Bargeton : « trop courtes, méchants, étriqué, ridicule, piteux ». La gradation est significative. Le regard passe en revue les vêtements mal coupés du provincial, puis un jugement sur sa personne s’amorce : il est « ridicule » et « piteux » ce qui montre le même dédain et le même rejet de la part de Mme de Bargeton qu’il l’a éprouvé pour elle. Son « étrange beauté » ne sert à rien, elle est reléguée au second plan, à l’intérieur d’un complément circonstanciel de concession. Son apparence globale est sèchement résumée dans une proposition brève, rythmée par des sonorités dentales qui en accentuent la dureté : « Madame de Bargeton lui trouvait un air piteux. » Ajoutons à cela l’ambiguïté de certaines expressions. Lucien est « ridicule auprès des jeunes gens du balcon » : ce qui signifie que Mme de Bargeton le compare aux dandys et le trouve risible, ou encore, en voyant les jeunes gens à la mode se moquer de Lucien, qu’elle prend leur parti contre son ancien amant et le méprise avec eux.
Ainsi ce texte prend-il épaisseur et vie par sa polyphonie. Nous entendons la voix de Lucien « Va-t-elle rester comme
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