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Commentaire, Chant d'en bas, Jaccottet, 1974

Par   •  13 Octobre 2018  •  2 253 Mots (10 Pages)  •  982 Vues

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Les deux dernières strophes retentissent comme une invective que le poète s’adresse à lui-même. Il additionne en deux phrases nombre d’images violentes. Il exprime une tentation ultime de silence, de mutisme, celle du rejet de la poésie même, contre laquelle la poésie ne peut subsister qu’en s’arc-boutant « c’est quand on ne peut plus se dérober à la douleur » (v16), « parler alors semble mensonge, ou pire : lâche insulte à la douleur » (v23-24) ; le poète s’accuse d’être un « sentencieux phraseur » dont il voudrait parfois arracher la langue

Transition : « parler » est un poème-discours qui s’interroge abruptement sur la légitimité de la poésie en face de la mort. Curieusement, il semble qu’une espèce d’intimité est reconquise dans l’exercice de la parole poétique, au moment même où le lien intime est brisé dans la vie réelle

III Une poésie moderne en vers libre

1 Le vers libre

Le poème s’affranchit des règles et contraintes de la versification ordinaire.

Cependant, le rejet des contraintes de versification classique ne livre pas l’écriture au hasard ou à l’improvisation. Le rythme devient plus que jamais essentiel. Nombreux sont par exemple les enjambements, produisant des effets de ralentissement (v7 au v10) ou des effets d’accélération (v19 au v22), de chute brutale (v23 au v25).

L’hétérométrie est désormais chez l’auteur général, et ses effets en sont très variés.

Nous découvrons une pratique particulière du vers. Ces vers ne conservent de la versification que le retour à la ligne. Encore ce retour ne débute-t-il presque jamais par une majuscule. Elle ôte volontairement tout confort de lecture. Elle oblige à une attention soutenue, dans la mesure où sans cesse elle surprend.

La création de rythme expressif : la longueur des vers est en outre dépendante de l’affectivité. Plus l’émotion est forte, plus le vers est bref. La brièveté traduit l’intensité émotionnelle. A l’inverse, plus le vers est long, plus il est argumentatif ou démonstratif, comme la première section de chants d’en bas.

Cette libération de la forme n’a rien de gratuit. Elle correspond au contraire à un horizon nouveau de la poésie : celui des frontières et des limites. Dire non pas la mort mais le mourir, dire l’invisible, chercher sous les mots, telle est l’ambition de la parole poétique. Le processus par lequel on passe de vie à trépas est par définition indicible. Le vivant ne peut encore dire quel est ce processus, le mort ne peut plus dire quel il a été.

2 Les poèmes : des objets visuels

Les blancs structurent les poèmes, en mettant en relief les éléments importants et en visualisent les effets. Les blancs délimitent visuellement des unités thématiques.

Fréquemment les blancs isolent un mot, qui constitue donc un vers à lui tout seul :

Dans chants d’en bas « cela » (v16). Ainsi mis en lumière, le mot n’en prend que plus de force. Enfin les blancs font toujours sens. Ils saisissent le surgissement des émotions, ils marquent la progression d’un raisonnement ou les différents temps de l’écriture.

Marquer la progression d’un raisonnement

Le premier poème de chants d’en bas est un poème-discours. Le poète s’insurge contre les facilités du langage. Les blancs marquent les étapes de son réquisitoire :

• le dizain dresse le constat : « parler est facile », c’est un jeu sans risque et sans effet,

• le quatrain en tire les conséquences : un tel jeu ne peut que susciter l’horreur,

• le huitain en précise les conditions d’émergence,

• et le tercet est une condamnation sans appel : « parler » n’est pas seulement facile, c’est un « mensonge » et une imposture.

Les blancs offrent donc une particularité paradoxale : pour dessiner par définition un espace dépourvu de mots, ils n’en sont pas moins créateurs de sens. Et, par la manière dont ils composent et disposent le poème sur la page, ils l’apparentent à un tableau.

Les blancs ne constituent pas seulement une aération du texte : en interrompant l’enchaînement des vers, ils introduisent le silence de la parole poétique. Les blancs sont des temps de méditation, de recueillement.

Enfin, la frontière entre poème et texte en prose tend à s’estomper. Seule la disposition typographique empêche de penser que l’on est dans l’univers ordinaire de la prose.

3 Le refus d’une forte expressivité

Partisan d’une esthétique de la brièveté, il privilégie les notations succinctes. Parler, la première partie de chants d’en bas, contient des vers qui possèdent la rigueur mais aussi la sècheresse d’une argumentation, aux antipodes de la subjectivité lyrique. Dans l’ignorant (1956) Jaccottet écrivait : [Que] l’effacement soit ma façon de resplendir » Cet effacement ne saurait mieux illustrer son rejet des formes traditionnelles du lyrisme. Ce poème possède une armature logique si marquée qu’il s’apparente à un raisonnement quasi scientifique : « parler est facile … »/ »Aussi arrive-t-il … »/ « Parler alors … »

L’importance accordée à la voix

Peu importe, dès lors, que le « je », soit expressément présent dans le poème. Même quand il n’y est pas, il est le support de cette voix. Son absence n’est pas inexistante, mais discrétion et masque. Le poème devient un lieu paradoxal : c’est un écrit lu par le lecteur mais qui est une voix. C’est en quelque sorte un écrit parlé.

Le lyrisme ne se limite donc plus aujourd’hui à l’expression de sentiments personnels, il naît de la voix. C’est une voix hésitante, juste et émouvante.

L’exploration des limites explique cette prudence. Comment, en effet, être sûr de quoi que ce soit ? C’est pourquoi on a pu parler à propos de Jaccottet d’une « poétique du retrait ».

C’est l'effort constant pour, tout en partant de soi, de son expérience, de son ressenti, tenter de construire quelque chose qui puisse être partagé, universel. Le « on » universel, pronom indéfini neutre que l’on retrouve maintes fois dans

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