Cendrars - « La Prose du Transsibérien et de la Petite Jeanne de France » (1943)
Par Raze • 1 Mai 2018 • 1 852 Mots (8 Pages) • 688 Vues
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Le poète se place ensuite en acteur « Moi je » et laisse la jeune fille à l'écart comme le montre l'adjectif « esseulée ». Il vient « de ci, de là, de fait » ce qui peut rappeler une dimension musicale, une chorégraphie, renforcée par la répétition du pronom « Elle » en début de strophes qui vient rythmer cet extrait. Enfin le vers « Elle fait un pas, puis ferme les yeux – et fait un pas. » met en scène la jeune fille dans une chorégraphie artificielle, un pas répété. Cette scène est aussi très visuelle, comme le montre le vers « Des robes d'or sur de grands corps de flammes » qui peut faire penser à des danseuses. . « Les robes d'or » sont également un symbole de séduction, de richesse. « Les flammes » rend cela presque hypnotique. La jeune fille, elle, est dans le dénuement le plus total, parce qu'en plus de n'avoir aucun apparat, « elle n'a plus de corps », elle devient immatérielle, impalpable. « Elle est trop pauvre » mis en fin de vers et accentué par un tiret montre bien la situation misérable de la jeune fille.
Ce mouvement, le cœur de l'extrait, oppose la jeune fille et les autres femmes, séductrices. La jeune fille n'a a priori rien de séduisant, elle n'a rien. Ce mouvement introduit également une dimension plus visuelle et musicale, qui apporte une certaine véracité à ce passage introspectif. La typographie joue aussi un rôle visuel, par la présence de tirets.
Le troisième mouvement se détache de ce passage introspectif pour revenir à la jeune fille. Cette quatrième strophe est ici une reprise du premier mouvement. Dès la première strophe, le poète fait de la jeune fille un objet, la fleur du poète. Mais ce lys, que l'on trouvait déjà à la deuxième strophe, et qui apparaissait tremblant, est ici fané, pauvre. La répétition de l'adverbe « tout » accentue l'idée d'inévitable, de définitif. Le lys peut aussi renvoyer à un bijou, à l'idée d'un objet que l'on contemplerait. Le poète joue sur cette ambiguïté, en effet, la jeune fille-lys, n'est ici plus agréable à regarder, et l'opposition incohérente entre le lys froid, fané et le bijou rappelle l'opposition entre amour sacré et amour trivial du premier mouvement.
Enfin, le dernier vers de la strophe « Que les larmes me viennent si je pense à son cœur. », rappelle le premier vers de l'extrait, mais le poète laisse ici apparaître un « je » qui marque son attachement à la jeune fille. Ce dernier vers vient également fermer le passage introspectif.
Cette strophe résume l'ambivalence de cet extrait. Le poète présente donc la jeune fille comme entité indéfinissable, nous pouvons également noter qu'elle n'est pas nommée, mais seulement désignée. Ce mouvement annonce la strophe suivante qui vient clore définitivement ce passage introspectif.
La dernière strophe du poème marque une rupture avec le passage introspectif et un retour vers le temps de la narration du poète.
Le terme « nuit » réintroduit le le temps de la narration et montre la banalité de cette nuit. La locution « cent mille autres » évoque une certaine idée de lassitude, du temps exergue qui passe . La reprise du verbe nuit en fin de vers montre cette répétition créer une boucle et un effet de lourdeur qui illustre ce temps, long.
Le vers suivant « -Les comètes tombent- » est mis en évidence grâce aux tirets. Le ton plus neutre incite le lecteur à prendre du recul, à regarder la scène de manière plus objective. Cette disposition, ce ton rappelle les didascalies au théâtre. L'introspection est finie, ce vers est un retour à la réalité poétique du voyage, au journal de bord du poète.
Le Littré nous indique que les comètes peuvent également être des rubans étroits ayant beaucoup d'apprêt. Le poète joue également sur la polysémie des termes comètes et lys, qui peuvent tout deux être des constellations, des astres, ou bien des éléments d'apparat. « -Les comètes tombent- » annonce donc la nudité présente dans le vers suivant « Et que l’homme et la femme, même jeunes, s’amusent à faire l’amour. » L'homme et la femme sont ici généralisés grâce au déterminant « le » qui efface toute identité propre. Enfin, e terme « s'amuse » introduit une idée de légèreté, qui semble presque incohérente avec le personnage de la jeune fille. Le poète décrit une scène de manière objective, il s'éloigne de son souvenir et quitte le moment introspectif en adoptant une neutralité qui rompt avec l'extrait et qui permet au poète de revenir au poème.
Cet extrait est donc un extrait quasi autonome, car il ne dépend pas du poème. En effet, cet extrait, où le poète met en place un « je » introspectif, se détache du reste du poème que l'on peut associer à un journal de bord poétique. Le poète profite également de ce passage pour nous donner sa vision de l'amour et des femmes, qui pourrait apparaître comme paradoxal. Le personnage de Jeanne n'est pas nommé, et représente à elle même la dualité décrite par le poète.
Cendrars joue également avec les lieux communs de la poésie romantique pour les contourner comme on peut le remarquer dès le premiers vers. La structure est elle aussi significative, car elle est régulière, contrairement à La Prose du Transsibérien et de la Petite Jeanne de France, et créer un passage hermétique dans le poème.
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