Baudelaire, Le Spleen de Paris, "Déjà !"
Par Ramy • 30 Septembre 2018 • 2 054 Mots (9 Pages) • 687 Vues
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CP : Si d’une part, on distingue dans ce poème deux éléments, deux lieux antithétiques, on retrouve d’autre part une opposition dans les sentiments et impressions des passagers concernant le voyage.
II/ Les sentiments et réactions des passagers
PA : Le voyage est pour chacun l’occasion de l’expression de sentiments et la découverte de soi au travers de réactions. Si d’un côté tous les passagers ont la mer en horreur et aspirent à retrouver la terre ferme, le poète lui se démarque et est plus nuancé dans les émotions que lui inspirent mer et terre.
1°) Les compagnons de voyage
Les passagers, caractérisés par des formules globalisantes: « chacun des passagers », « Ils », « chacun », forment rapidement un groupe, une communauté unanime autour du sentiment face à la mer qu’ils ont en partage : ennui et lassitude. Appuyé par le rythme binaire autour du désœuvrement « gémissait et grognait », et justifié par le complément circonstanciel de temps : « depuis nombre de jours », qui succède aux premiers mots du poème : « Cent fois déjà le soleil avait jailli » ici, le numéral prenant une valeur indénombrable et venant appuyer le caractère interminable du voyage. Les sentiments des passagers sont alors clairement explicités au travers du champ lexical de la souffrance : « gémissait / grognait / exaspérait / souffrance ». Les paroles et pensées des passagers, rapportés dans un style direct viennent renforcer l’authenticité du poème, et cela avec la reprise anaphorique de l’adverbe « Quand » dans des interrogatives, où la lassitude et un espoir désabusé de voir un jour le voyage prendre fin transparaît. Par ailleurs, l’imparfait accentue cette impression d’éternité. En outre, par l’emploi du champ lexical de la passivité, « dormir / sommeil / manger / digérer / fauteuil / immobile », les passagers s’apparentent à des animaux, dans une vie végétative et n’ont qu’un souhait : revoir la terre. Effectivement, pour définir la mer qui les porte ils usent de l’hyperbole péjorative « élément infâme ». D’autre part, le regret et la répulsion pour la mer apparaît également avec une nostalgie paradoxale et incompréhensible, désireux même de retrouver les foyers qu’ils ont quittés et d’y retrouver de détestables personnages « regrettaient […] femmes infidèles […] et leur progéniture criarde ». Et ce n’est pas le seul signe de leur perte de raison : « affolés par l’image de la terre absente » et « ils auraient […] mangé de l’herbe avec plus d’enthousiasme que les bêtes », les passagers sont réduits à un état second et soumis à une dégradation psychique causée par la traversée. Et dès lors, cela justifie leur comportement à l’approche de la terre. Annoncé par l’adverbe « aussitôt », le prompt changement d’humeur est mis en avant par le champ lexical de l’euphorie « joie / oubliées / s’envolèrent ». Et à cet instant, face au bonheur de la côte retrouvée, nous sommes confrontés à un vocabulaire péjoratif : « mauvaise humeur / querelles / torts / duels / rancunes », et c’est là qu’interviennent les groupes de verbes « abdiqua / pardonnés / furent rayés / s’envolèrent », qui malgré ce réseau de l’opposition et de l’affrontement quasi hostile, annulent le négatif et muent ce ressentiment accumulé par la mer en béatitude de revoir la terre.
T : Tandis que les passagers ne supportent qu’à grand renfort d’efforts la traversée, le poète lui, appréhende le voyage avec une vision quelque peu plus mitigée.
2°) Le poète
Alors que les autres des passagers se comportent en groupe, le poète lui, intervient en tant que narrateur interne à l’histoire et est désigné par le pronom personnel sujet « je ». Il s’assimile au reste de l’équipage lorsqu’il peut voir les étoiles et apercevoir la terre, il fait alors usage du pronom personnel sujet « nous » avec « nous pouvions contempler » et « nous vîmes ». Mais pour ce qui est de la perception du voyage et de ce qu’il ressent il s’exclut assez rapidement. Ainsi, dès le premier paragraphe, il se pose en spectateur de la lassitude de ses compagnons avec le possessif exclusif dans l’expression « leur souffrance », laissant entendre qu’il n’est pas concerné par l’inconfort décrié pourtant par les autres. Il en va de même pour l’emploi de la 3ème personne du pluriel « Ils » grâce à laquelle il désigne les passagers. Semblant même être dans le jugement avec « ils auraient, je crois, mangé l’herbe », une caricature un tantinet méprisante. Il n’exprime toutefois sa différence qu’au cinquième paragraphe, après l’approche du rivage, qui s’ouvre avec « Moi seul j’étais triste, inconcevablement triste ». L’enchaînement du pronom tonique « moi », de l’adjectif qualificatif « seul » et du pronom personnel sujet « j’ » correspond à la mise en avant redondante de sa différence affirmée presque avec orgueil. Par ailleurs, l’adverbe suivi de l’attribut « triste » inscrit cette différence non seulement dans la solitude (« seul ») mais surtout dans la tristesse et la déception. En cela ce poème s’apparente à du lyrisme. Il s’auto-compare à « un prête à qui on arracherait sa divinité ». Quitter la mer ici placée en comparé, est pour lui la source d’un profond désespoir. Désespoir que renforce la reprise du terme « triste ». Le poète qualifie de « navrante amertume » l’adieu qu’il fait à la mer. Et c’est en usant de l’hyperbole « je me sentais abattu jusqu’à la mort » qu’il étaye résolument son regret d’une si prompte arrivée. En outre son désarroi est tel qu’il se manifeste dans l’opposition antithétique des deux interjections adverbiales « Enfin ! » (Pour les passagers) et « Déjà ! » (Pour le poète). Et tout le drame réside dans le verbe de parole « crier » qui ajouté à tout ce qui précède, clôt son sentiment et affirme le Spleen qui s’est emparé du poète. Toutefois, le connecteur d’ajout « Cependant » qui est l’amorce du dernier paragraphe vient contrebalancer ce « Déjà ! » de désespoir. Car suit un fort registre mélioratif : « une terre riche et magnifique pleine de promesses ». Le poète tout affligé qu’il est, demeure sensible aux charmes de la terre.
CONCLUSION
La
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