Tacite, Vie d'Agricola.

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Agricola répond parfaitement à son devoir de citoyen, puisque c’est un citoyen investi : il dressa l’inventaire des biens appartenants au temple, il s’occupa des jeux. Sa propre vie passe après celle de l’Empire, ainsi quand il apprit la perte de sa mère et de son héritage il continua à s’investir pour Rome. Il apparaît comme le parfait gouverneur : p.14 « temperauit Agricola uim suam ardoremque compescuit, ne incresceret, peritus obsqui eruditusque utilia honestis miscere » ( Agricola modéra sa propre énergie et tempéra son ardeur, de peur de s’élever trop haut ; il savait faire preuve de déférence et il avait appris à concilier l’intérêt avec le bien). Grâce à ses valeurs Agricola s’est accompli en tant que citoyen et en tant qu’homme puisque, par son humilité, il a échappé à l’envie mais non à la renommé et à la gloire. Il est naturellement bon et est qualifié par Tacite de « intentus » « seurus » « saepius misericors » à la page 16 (il était solennel, déterminé, rigoureux et, plus souvent miséricordieux.) Cette éloge d’Agricola connote toutefois sa supériorité vis-à-vis des autres hommes qui sont condamnés à être guidés par les vices, ils n’ont pas la doctrine stoïcienne que pratique Agricola, sa grandeur est d’être celui qui maintient l’Empire, et qui comme Verginus Rufus, ne retient rien pour lui.

Vie D’Agricola pose la question qui hante le travail de l’historien, celle des rapports de l’individu et du pouvoir : comment peut-on être un homme de bien dans une période troublée alors que règle l’injustice et que le tyran se déchaîne ? Selon Tacite, Domitien n’a rappellé Agricola que parce qu’il craignait que son prestige efface le mérite de ses modestes victoires en Germanie. Le portrait d’Agricola, et surtout de sa vie et de sa confrontation à Domitien nous délivre donc une nouvelle vision des romains, celle de la fourberie, de la manipulation, de la quête anxieuse et malsaine du pouvoir et de la renommé. En effet Tacite s’appuit sur la réaction de Domitien pour critiquer le despotisme de l’Empereur qui se considère alors comme le nouvel Auguste : un despote éclairé dont le destin est de guider le peuple romain vers un nouvel âge d’or alors qu’il s’accapare le pouvoir, ne laissant aux sénateurs que des brides du pouvoir. Domitien voit donc en Agricola une menace, ainsi il fait preuve de stratégie en voulant éloigner Agricola de la gloire et du monde romain tout en lui décernant par le Sénat les ornements du triomphe. Agricola en sage qu’il incarne se retire de lui même : page 72 nous pouvons relever « Ceterum uti militare nomen, graue inter otiosos, aliis uirtibus temperaret, tranquillitatem atque otium penitus hausit, cultu modicus, sermone facilis, uno aut altero amicorum comitatus, adeo uti plerique, quibus magnos uiros per ambitionem aestimare mos est, uiso aspectoque Agricola quaererent famam, pauci interpretarentur » (D’ailleurs, pour adoucir par d’autres qualités sa gloire militaire, écrasante pour ce milieu d’oisifs, il s’enfonça profondément dans le calme et la retraite modeste dans son apparence, affable dans sa conversation, escorté seulement par un ou deux amis, si bien que la plupart des gens qui se plaisent à juger les grands hommes d’après leur train de vie, ayant vu et observé Agricola, s’interrogaient sur les raisons de sa renommée et que bien peu la comprenaient.) Agricola apparaît définitivement comme le sage qui se retire de la vie en société pour trouver le calme, le refuge et ainsi le bonheur. Il est qualifié de « héros », il est la preuve pour tout homme que même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes car ce qui clot bien l’éloge de Tacite c’est finalement le fait qu’Agricola était un homme heureux, page 82 nous pouvons citer : « Tu uero felix, Agricola (…) » ( Tu es heureux vraiment, Agricola).

S’il montre que les citoyens romains sont à la fois des conquérants et des civilisateurs pacificateurs à travers la conquête de la Bretagne, Tacite révèle une deuxième facette du citoyen romain, celle de l’hommes guidé par le vice, l’ambition et le pouvoir. Agricola se trouve être l’exception. Il est par sa grandeur et sa réussite personnelle révélateur de la médiocrité des ambitions des princes et notamment de Domitien vivement critiqué par l’historien Tacite. Nous pouvons ajouter afin de conclure, que La Damnatio memorial fût votée à l’égard de Domitien par le Sénat romain, ainsi contrairement à la vie d’Agricola qui a été conservé et honoré à travers l’éloge de Tacite, le mauvais romain, le mauvais prince voit ses honneurs annulés, son nom effacé, ses statuts renversées.