Le réformisme d'Albert Thomas
Par Stella0400 • 12 Octobre 2017 • 3 724 Mots (15 Pages) • 524 Vues
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Albert Thomas voit dans La Revue syndicaliste un moyen d’éduquer la classe ouvrière afin qu’elle soit à même de développer une action réellement efficace. Il défend ainsi une position intermédiaire et affirme sa conception du rôle du syndicat dans les pages du journal. Il affirme ainsi que le syndicat est le moyen privilégié de l’émancipation ouvrière et qu’il doit affirmer son indépendance vis-à-vis du parti comme l’illustre cet extrait du premier numéro de La Revue syndicaliste du 15 mai 1905 ou il prône : « Un syndicalisme, fortement organisé, absolument autonome, indépendant de toute attache politique ; un libre syndicalisme, appliqué à sa tâche quotidienne d'amélioration sociale, mais constamment dominé par son idéal de suppression du salariat, tel est le but auquel nous tendons ». Du fait des difficultés financières que traverse le journal, La Revue syndicaliste fusionne avec la Revue socialiste. Elle devient alors La Revue socialiste, syndicaliste et coopérative et Albert Thomas en est le rédacteur en chef. Cette nouvelle revue confirme dès le début ces liens avec le révisionnisme. A une lettre envoyée par Eduard Bernstein - qui participe au comité de direction – à la rédaction, Thomas répond « Nous serons, à La Revue socialiste, éternellement des révisionnistes ». Comme le souligne Emmanuel Jousse dans son ouvrage Du révisionnisme d’Edouard Bernstein au réformisme d’Albert Thomas (1896-1914), si l'on identifie très clairement plusieurs influences du révisionnisme allemand dans les pages de La Revue syndicaliste, le transfert du révisionnisme reste au final assez marginal dans cette revue . Il s'opère plus clairement au sein de la seconde. Il faut toutefois préciser qu’il est surtout utilisé comme référence permettant au rédacteur de légitimer son propos, notamment dans la critique du marxisme.
On peut noter une évolution importante dans la personnalité de Thomas à partir de 1910 jusqu’à 1914. Cette évolution est liée à son ascension politique. Il est élu député de la Seine dans la circonscription de Sceaux en mai 1910, puis maire de Champigny-sur-Marne en 1912 et devient porte parole du groupe socialiste à la Chambre. Lors de la crise ministérialiste, il affirme l’importance de préserver l’unité du Parti et de favoriser son engagement sur la voie de réformes concrètes et réalisables rapidement et s’engage par là sur la voie d’un réformisme assumé et revendiqué. Cette idée s’illustre particulièrement dans la brochure éditée en 1913 et intitulée La Politique socialiste. Selon Emmanuel Jousse, c’est dans ce texte programmatique que l’on trouve le plus nettement la marque du transfert du révisionnisme en France. Thomas rejoint l’idée défendue par Bernstein selon laquelle la démocratie doit se réaliser par le socialisme. Il écrit :« Il faut que notre Parti […] se révèle aux yeux de tous ce qu’il est réellement : un parti capable, en réalisant la révolution socialiste, de faire plus qu’aucun autre, la prospérité et la grandeur de ce pays »[8]. Cette conviction implique que les socialistes doivent soutenir le gouvernement, et abandonner l’attitude d’opposition frontale qui peut avoir pour conséquence de faire « passer les militants pour des opposants irréductibles, anarchistes inadaptables, négateurs impuissants » (ibid.). Pour sortir le Parti socialiste du dualisme fondamental auquel il est confronté, « entre son intégration croissante au système politique français et le refus de tirer au niveau de sa doctrine et de ses principes les conséquences de celles-ci »[9], il faut, en partant d’une analyse des faits et en adaptant la théorie à la pratique, qu’il assume ses orientations réformistes et sa pleine intégration à la nation.
On peut donc dire que le réformisme revendiqué par Albert Thomas se nourrit et fonde une partie de sa légitimité du révisionnisme de Bernstein, même si d’autres influences sur la pensée de Thomas sont à rappeler telles que les socialistes normaliens influencés par les théories de Durkheim, la synthèse jaurésienne rejetant opposition réforme- révolution, ou encore la pensée pragmatique de Millerand. Si à la veille du conflit, Albert Thomas affirme déjà clairement sa conception du socialisme, qui se distingue sur certains axes majeurs de la doctrine en vigueur, c'est surtout lorsqu'il occupe ses fonctions gouvernementales que l'expérience du réformisme d'Albert Thomas est la plus vive et la plus controversée.
- II) L'expérience réformiste d’Albert Thomas au pouvoir: une porte de sortie pour le socialisme français ?
- Albert Thomas au gouvernement, une opportunité de mettre en pratique les théories développées avant le conflit
L’originalité de l’expérience réformiste d’Albert Thomas se révèle en ce sens qu’il a eu l’occasion à maintes reprises d’exposer et d’appliquer sa conception originale du socialisme, imposant parfois d'agir contre les idéaux doctrinaux de la SFIO.
En guise de préalable il convient de souligner que l’action municipale est un terrain privilégié du réformisme à la française. Albert Thomas, réalise l’importance du mouvement coopératif à l’échelon local dès son élection au Conseil municipal de Champigny en 1904, c'est-à-dire bien avant le compromis du congrès de Saint Quentin en 1908. De ce congrès découle un compromis entre le discours guesdiste qui refuse la gestion directe des affaires par les élus socialistes et le discours broussiste qui y est favorable, considérant que cela peut mener à l’instauration d’une réelle démocratie sociale. Lorsqu’il est élu maire de Champigny en 1912, il s’investit pleinement dans cette voie afin d’améliorer concrètement les conditions de vie de la classe ouvrière, notamment par le réaménagement des banlieues, et l’organisation des coopératives.
En plus de cette préoccupation pour l’échelon local, Albert Thomas s’implique dans les problématiques économiques. Il s’illustre notamment sur ce point à l’Assemblée nationale en 1912 et en 1913, lorsque rapporteur pour le budget des chemins de fer, il se prononce et lutte pour leur nationalisation. L’article publié en 1913 dans La Revue Socialiste intitulé « La régie directe des chemins de fer » est particulièrement illustratif de ses idées. Il y prône la nécessité pour l’État d’être en capacité de contraindre les compagnies de chemins de fer à agir dans l’intérêt général. Aux mains de l’État, le chemin de fer « serait un instrument formidable de politique sociale, […] permettant une véritable révolution
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