L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale en France
Par Orhan • 28 Septembre 2018 • 2 883 Mots (12 Pages) • 512 Vues
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La complexité de cette guerre, les différents choix effectués par les Français, les traîtres, les collabos, les héros de la Résistance, les victimes, tout ceci va entraîner la formation de couches successives de « mémoires » face auxquelles l’historien se doit de prendre de la distance.
B. La mémoire ne se confond pas avec l’histoire
1. Une mémoire antagoniste de l’histoire ?
La mémoire est un ensemble de souvenirs qui nourrissent les représentations, assurent la cohésion des individus dans un groupe ou dans une société et peuvent inspirer leurs actions présentes. Elle représente un point de vue particulier, partiel et partial.
La mémoire est aussi affective, marquée par des émotions, des jugements de valeur. Elle porte par exemple l’idée d’une souffrance qu’il ne faut pas oublier, d’un tort dont il faut demander le pardon.
L’histoire est une enquête. Elle doit être complète, distanciée, rigoureuse. Elle doit se méfier des mémoires comme témoignages à critiquer et recouper mais aussi comme groupes de pression (cf. art. 4 de la loi du 23 février 2005 : les programmes scolaires doivent reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer », c’est à dire la mémoire du colonisateur).
L’histoire est globalisante et la mémoire fragmentaire. La mémoire ne fait que rappeler une vision partagée par un groupe alors que l’histoire cherche à comprendre, les causes.
2. La mémoire comme objet d’étude pour l’historien
L’historien est un enquêteur. Il recherche donc des indices (patrimoine) et des témoignages (les mémoires). Comme dans une enquête policière il faut recouper les sources, vérifier la véracité des témoignages dont la mémoire peut-être partielle, erronée, ou qui peuvent être mensongers. Le témoin, même victime présumée, ne doit pas être sacralisé, l’enquête menée à charge et à décharge quant au présumé coupable. Il faut donc de la rigueur, de la minutie, de la distance. Il faut éviter d’être instrumentalisé et de chercher à prouver une thèse préalable (cf. archéologie en Israël). Il faut s’étonner de ce qui va de soi, garder l’esprit ouvert.
Des interprétations différentes peuvent être présentées : le génocide juif a eu lieu c’est prouvé, mais s’opposent les intentionnistes (Hitler dès le départ veut exterminer les juifs d’Europe) et les fonctionnalistes (Hitler est antisémite et met les juifs à l’écart mais le projet de génocide, conçu par l’organisation SS, se met en place progressivement dans le contexte de la guerre).
II. Les tourments de la mémoire de la seconde guerre mondiale en France de 1945 à nos jours
A) La construction d’une mémoire officielle : le mythe de la France résistante (1945-1969)
1. La construction du mythe de la France résistante
Le résistancialisme, c’est-à-dire l’exaltation de la résistance française, est mis en avant à partir de 1945.
Les causes du résistancialisme :
- L’envie d’oublier les mauvais souvenirs de la guerre de Vichy et de la collaboration
- Le besoin d’unité des Français pour reconstruire la France
- L’arrivée de nouveaux hommes politiques issus de la Résistance (Bidault, Tillon, Mendès-France, etc.)
- Le résistancialisme est alimenté par deux mouvements politiques :
- Le général de Gaulle est le symbole de la résistance française : l’homme du 18 juin 1940
- Le PCF se présente comme le « parti des martyrs » et des 75000 fusillés
2. Le mythe de la résistance s’impose largement
- Le résistancialisme s’exprime de multiples façons :
- Cérémonies officielles : surtout le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon (1964) organisé par André Malraux
- Des lieux symboliques comme le mont Valérien ou le maquis du Vercors
- La culture populaire comme la chanson (« chant des partisans ») et le cinéma (« Bataille du rail »)
- Le résistancialisme est rarement remis en question : marché noir condamné dans « La traversée de Paris », collaboration évoquée dans « Nuit et Brouillard »
B) « Un passé qui ne passe pas » (Henry Rousso) depuis 1969 : le réveil de la mémoire de Vichy
1. Les causes du retour de la mémoire de Vichy
- Les piliers du résistancialisme s’effondre : mort du général de Gaulle (1970), effondrement du communisme depuis 1989
- De nouveaux hommes politiques qui n’ont pas participé à la seconde guerre mondiale : Jacques Chirac
- La prise en compte du génocide juif pose naturellement le problème de l’attitude de la France
2. Les manifestations du réveil de la mémoire de Vichy : « Le temps de l’obsession » (Henry Rousso, historien)
- Les prises de position des intellectuels : « Le Chagrin et la Pitié » de Ophüls (1967), « La France de Vichy » de Robert Paxton (1973)
- Scandale de la grâce présidentielle de G. Pompidou en faveur de l’ancien milicien français Paul Touvier (1972)
- Les procès contre René Bousquet (haut fonctionnaire de Vichy, chef de la police lors de la rafle du Vel d’Hiv), Paul Touvier et Maurice Papon (ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux)
3. Le mythe de la résistance est écorné
- Le choix de la résistance était difficile : parcours de F. Mitterrand, pétainiste jusqu’en 1943, puis résistant
- La résistance n’est pas unie : souvenir de la trahison de Calluire qui a permis l’arrestation de Jean Moulin
C. La mémoire de la Shoah
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