Pamphlet sur l'intimité amoureuse
Par Matt • 2 Décembre 2018 • 2 122 Mots (9 Pages) • 482 Vues
...
Le poète emprunte ici à la poésie traditionnelle le motif du blason, sauf qu’il ne fait pas l’éloge d’une seule partie du corps de la femme mais de plusieurs : la peau, la chevelure, les yeux, la bouche, les dents. Il prouve alors à nouveau sa modernité.
Par ailleurs, cet éloge est soutenu par le registre lyrique, marqué par un lexique affectif et mélioratif mais aussi par une ponctuation expressive et des hyperboles qui traduisent l’émerveillement et l’exaltation du poète : « Que j’aime voir, chère indolente/De ton corps si beau/Comme une étoffe vacillante/Miroiter la peau ! » (v. 1-4), « ta chevelure profonde » (v. 5), « Belle d’abandon » (v. 18), « Un ciel liquide qui parsème/D’étoiles mon cœur ! » (v. 35-36).
Cependant, c’est un éloge contrasté qui laisse entrevoir une certaine ironie et l’amertume du poète.
En effet, la femme est comparée tantôt à un serpent (animal qui symbolise la tentation et figure donc le mal dans la religion chrétienne) : « On dirait un serpent qui danse/Au bout d’un bâton » (v. 19-20) tantôt à un éléphanteau paresseux (et l’on sait que la paresse est l’un des sept péchés capitaux) : « Sous le fardeau de ta paresse[…]Se balance avec la mollesse/D’un jeune éléphant » (v. 21-24).
La comparaison au « jeune éléphant » un peu lourdeau entre quelque peu en dissonance avec la comparaison à la danse gracieuse du serpent ou celle du « fin vaisseau » (v. 26).
D’autre part, l’adjectif qualificatif « vagabonde » (v. 7) pourrait connoter l’infidélité et l’inconstance de Jeanne Duval.
Quant à la comparaison finale au « vin de Bohême/Amer et vainqueur » (v. 33-34), elle met en évidence le caractère éphémère de cette sensation de paix et de bien-être, puisque le vin chez Baudelaire est un paradis artificiel qui ne procure qu’un plaisir temporaire et ne laisse qu’un goût amer.
De plus, l’âme de la femme reste impénétrable au poète, ce qui est accentué par une forte négativité : « Tes yeux où rien ne se révèle/De doux ni d’amer » (v. 13-14).
Enfin, la maîtresse du poète se caractérise aussi par sa froideur : « Tes yeux[…]Sont deux bijoux froids » (v. 13-15), « glaciers grondants » (v. 30).
Cette froideur irrite le poète, ce qui se manifeste par une insistance sur l’amertume : « âcres parfums » (v. 6), « amer » (v. 14 et v. 34).
Le sentiment d’amertume du poète est également traduit par la consonance en [k] et par les allitérations en [r], en [d], en [p] et en [t] : « Tes yeux où rien ne se révèle/De doux ni d‘amer », « L’or avec le fer » (v. 13-16), « A te voir marcher en cadence/Belle d’abandon/On dirait un serpent qui danse » (v. 17-19)
La dualité de la femme, figure ambivalente qui balance le poète entre chaleur et froideur, Spleen et Idéal, en fait une véritable fleur du mal.
B – La domination de la femme et l’impuissance du poète
On remarque que le poète se laisse complètement dominer par sa maîtresse.
La première personne du singulier n’apparaît en effet qu’à trois reprises dans tout le poème : « Que j’aime voir » (v. 1), « Mon âme rêveuse appareille » (v. 11), « Je crois boire un vin de Bohême » (v. 33).
Toutes les autres strophes sont consacrées à la femme.
Ainsi, le poète s’efface progressivement derrière son rôle de spectateur. Celui-ci est souligné par la multiplication des comparaisons et la répétition du verbe « voir » : « Que j’aime voir » (v. 1), « A te voir » (v. 17).
L’effacement du poète est marqué aussi par l’emploi du pronom impersonnel « on » et la tournure impersonnelle de la phrase : « A te voir marcher en cadence […] On dirait un serpent qui danse » (v. 17-19).
La passivité du poète-spectateur est également accentuée par les nombreux verbes à l’infinitif : « voir » (v. 1 et 17), « Miroiter » (v. 4), « marcher » (v. 17), « boire » (v. 33).
La toute-puissance de la femme s’effectue aussi par le biais des sonorités, avec l’allitération en [s] qui imite le serpent (représentant la femme) et ponctue subtilement le poème : « un serpent qui danse » (v. 19), « Sous le fardeau de ta paresse », « Se balance avec la mollesse » (v. 21-23), « se penche et s‘allonge/Comme un fin vaisseau » (v. 25-26), « grossi par la fonte/Des glaciers » (v. 29-30), « ciel liquide qui parsème » (v. 35).
Transition : Le pouvoir de la femme sur le poète n’est toutefois pas complètement maléfique puisqu’il est aussi source de poésie.
III – La femme, une source d’inspiration poétique ?
A – Le serpent, métaphore de la poésie ?
Si le serpent renvoie d’abord une image négative par sa symbolique religieuse qui l’associe au Mal, il peut aussi être perçu ici comme une métaphore de la poésie.
En effet, à travers la démarche de la femme, le poète met l’accent sur le mouvement ondulatoire du serpent et sur le rythme régulier de sa danse : « A te voir marcher en cadence/Belle d’abandon/On dirait un serpent qui danse/Au bout d’un bâton » (v. 17-20).
Ce régularité et cette cadence se retrouvent dans le rythme même du poème, à travers l’alternance régulière entre les octosyllabes et les pentasyllabes qui reproduit la démarche ondulatoire.
Par ailleurs, le serpent est connu pour ses facultés hypnotiques.
Il serait ainsi capable d’hypnotiser et d’envoûter par son regard, le mouvement de son corps et sa musique, ce qu’on pourrait rapprocher du pouvoir incantatoire de la poésie.
Ici, la dimension incantatoire est fortement marquée par le rythme régulier et les sonorités.
En effet, l‘allitération en [m] relevée plus haut est renforcée par les assonances en [an], [o] et [on] qui soulignent l’émerveillement du poète envoûté : « indolente », « ton corps si beau », « Comme une étoffe vacillante/Miroiter la peau » (v. 1 à 4), « profonde », « Mer odorante et vagabonde/Aux flots » (v. 5-8), « Comme un flot grossi par la fonte/Des glaciers grondants/Quand l’eau de ta bouche remonte/au bord de tes dents » (v. 29-32).
B
...