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Dissertation sur les méfaits de l'argent

Par   •  16 Mars 2018  •  3 091 Mots (13 Pages)  •  651 Vues

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Malgré la vitesse à laquelle nous roulions j’ai réussi à m’imprégner de chacun de ces petits détails de la vie. Soudain je me suis senti mal à l’aise assis dans mon somptueux carrosse doré. Je me suis senti à l’étroit dans un monde qui ne me correspondait plus. Ces hommes, ces femmes et ces enfants ne possédaient rien mais respiraient le bonheur.

En y réfléchissant je me rendis compte que ce qui fait le bonheur ne s’achête pas. J’ai toujours cru que je pourrais vivre heureux en possédant toujours plus de biens matériels, en achetant de nouvelles statues d’éphèbes, en rajoutant toujours plus d’or et de lustres en cristal au sein de ma demeure mais je n’ai jamais cherché à me réjouir d’instants présents naturels tels que tu dois sûrement le faire. Je n’ai jamais apprécié un vol d’hirondelle au printemps, je ne me suis jamais réjoui de la douceur de l’air frais, de l’ombre d’un grand arbre ou du sourire d’un enfant. Je n’ai jamais gouté à ces plaisirs qui seuls prodiguent le véritable bonheur simple et puissant. En y repensant, j’ai pu profiter de tous ces plaisirs de la vie quotidienne, il y a bien longtemps, pendant mon enfance. Me laissant alors aller à la rêverie, à travers les vitres de la diligence j’ai revu mon passé défiler devant mes yeux.

Tu apparaissais dans chacun de mes souvenirs. Nous étions deux petits rouquins toujours complices et à la recherche permanente d’aventure, toujours prêts à construire des cabanes dans les arbres où à faire de la luge sur les collines en hiver. Aucun obstacle ne nous a jamais séparés et au contraire au fil des années notre amitié s’est renforcée.

Le dernier soir de ma vie à la ferme, lors de notre escapade nocturne tu m’avais confié ton rêve, devenir boulanger pour perpétuer la tradition familiale et faire connaître au monde la douceur d’une tranche de pain de seigle. Tu voulais que je travaille avec toi et j’ai bien entendu accepté et tous les deux nous étions alors rentrés à la ferme heureux de ce projet commun d’avenir. Le lendemain nous avions été réveillés en sursaut par le son de sabots de chevaux et le bruit des roues de carrosse s’avançant avec peine sur les pavés boueux. Impressionnés par cette venue matinale nous nous étions alors précipités en dehors et étions tombés face à face avec une vieille femme hideuse au visage sévère accompagnée d’un jeune homme. Après quelques explications ils m’annoncèrent que ma place n’était pas ici, et que j’avais du sang bourgeois. Ils m’expliquèrent qu’ils étaient venus au nom du seigneur De la Housse pour me reconduire chez moi. Mon passé avait toujours été confus et obscur. Jamais nous n’avions abordé ce sujet. Mais je me doutais bien que la famille dans laquelle je vivais n’était pas ma famille biologique et que nous n’étions pas de véritable frères de sang. Jamais pour autant je n’avais imaginé pouvoir être arraché ainsi à ma mère nouricière. Plus tard j’appris qu’en échange d’une faible rénumération vous aviez accepté de me prendre parmi vous, de m’élever et de m’éduquer. C’est grâce à ce petit pécule mensuel que vous meniez une vie sans trop de difficulté financière contrairement aux voisins vivant aux alentours.

Tout se passa ce jour là très vite. J’eus à peine le temps de récupérer mes affaires que je fus embarqué dans cette diligence. Alors que j écris cette lettre je te revois parfaitement courrir à l’arrière du véhicule, chaussé de tes sabots en bois trop petits pour toi qui résonnaient sur les pavés, agitant les bras en ma direction, des larmes ruisselant sur ton visage. Cette image est restée à jamais gravée dans ma mémoire. Enfin la diligence accéléra, je te perdis de vue et à vingt et un ans la deuxième partie de ma vie débuta. Je deviens alors Jean De Boussac.

Ma nouvelle vie me sembla alors être l’une des plus heureuses et je fus comblé de tous les plaisirs possibles. L’argent m’ouvrait toutes les portes. Plus tard je me suis rendis compte qu’en réalité elle m’avait ouvert les portes du vice et refermé celle des vertus.

Cette richesse présente quotidiennement autour de moi me manipulait et envoutait mon âme.

Je me sentais supérieur. Tout autours de moi, me montrait ma puissance : mon nouveau nom royal, cette gigantesque luxueuse demeure dans laquelle je vivais, les dizaines de serviteurs qui s’agglutinaient autours de moi prêts à répondre au moindre de mes besoins. Toute cette richesse me transforma. Je me sentis libre d’exploiter ces hommes, et femmes à mon service sous prétexte que mon argent et ma puissance m’y authorisait. Je ne distribuais à tous ces hommes qu’un salaire de misère. Je devins un être cruel, jugeant sur les apparances prêts à devenir violent n’hésitant pas à frapper des servantes lorqu’elles n’effectuaient pas bien leures tâches. Je redoutais chaque jour de manquer d’argent et je suspectais tous le monde de me dérober mes biens.

Mais malgré mon changement de caractère je ne t’oubliais pas pour autant et je gardais une très grande estime à ton égard. Tu me manquais Gaspard et je voulais partager mes sentiments et mes pensées avec toi comme on le faisait autrefois à la ferme. Je t’invitai de nombreuses fois à des dîners festifs et à des pièces de théâtres au sein même de ma demeure.

Mais il est vite apparu que nous n’avions plus rien en commun. Nous ne partagions plus aucune réflexion. Lors de nos premières entrevues je te narrais ma nouvelle vie avec le plus de détails possibles. Naïf que j’étais je ne vis pas les prunelles de tes yeux traversées d’une flamme de jalousie toujours plus ardente au fur et à mesure que l’on se rencontrait. Je ne compris pas que tu pleurais sur le chemin de retour après chacune de tes visites et que me voir ainsi riche te faisait maudire ta vie, toi qui d’ordinaire te qualifiais du plus heureux parmi tous les hommes. Je comprends maintenant Gaspard que j’ai été dur avec toi. L’argent me faisait oublier toutes mes valeurs et je n’arrivais plus à me représenter une vie autre que la mienne, comme ta vie à la ferme. J’étais devenu égocentrique et je ne te parlais sans cesse que des problèmes futiles de ma vie tel qu’un retard de commande de poisson pour un dîner, une dispute avec un noble de la cour ou mes ambitions d’acquérir toujours plus de richesse et de convoiter toujours plus de jeunes femmes. Je ne te laissais jamais parler de ta vie, de ton quotidien. Je ne pris que rarement des nouvelles de ceux qui m’avaient éduqué et je ne compris pas que la famine ravageait les campagnes, décimant la population. Je

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