Corpus sur la poésie
Par Plum05 • 1 Octobre 2018 • 1 248 Mots (5 Pages) • 415 Vues
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Provocateurs en raison de leur sujet, les quatre poèmes le sont aussi dans leur forme aussi : "Le Crapaud" est un sonnet inversé (deux tercets suivis de deux quatrains) et déstructuré par la multiplication de phrases courtes, répétitions ("horreur"), ponctuation expressive et un vers entier constitué de points, ce qui est original. Le poème de Lautréamont est un poème en prose, plus rhétorique que poétique, au sens traditionnel du terme, celui de Victor Hugo est bâti sur un rythme inédit, "bancal" (une alternance de décasyllabes et de vers de cinq syllabes) et celui de Germain Nouveau, avec ses douze strophes en octosyllabes semblables, par leur ennuyeuse régularité, comme les dents d'un peigne, se distingue surtout par son emphase ridicule, son défi au "bon goût" et son prosaïsme. C’est une ode pleine d’humour comme le montre le premier quatrain et sa hiérarchie sociale (servante/serviteur/savante/seigneur, soulignée par l’allitération)
En outre, le beau n’est pas seulement dans la nature mais dans l’écriture littéraire puisque tous les auteurs l’utilisent pour faire naître la poésie : Tous les textes brouillent ici les codes et les inversent en réalisant des images poétiques à partir de la laideur. Le pou devient par une périphrase poétique « un brigand de la longue chevelure » et le crapaud, incarnant dans nos conscience la laideur, un « rossignol de la boue » (oxymore opposant l’aérien et le terrien, le beau et le laid). Ces êtres insignifiants se déploient même par l’intermédiaire des mots et deviennent des êtres incroyables : le pou, microscopique pourrait dévorer un cachalot « en un clin d’œil, malgré sa taille », le crapaud incarne le poète et son statut maudit « -ce crapaud-là, c’est moi » et la peigne accède tout au long de l’ode qui lui est consacré au statut d « grand seigneur »
Ils proposent une vision du monde qui ne va pas de soi, parfois dérangeante
En premier lieu, la vision commune du monde repose sur des oppositions binaires : le bien et le mal, le beau et le laid, ce qui est aimable et ce qui est méprisable. L'intérêt de Victor Hugo pour les araignées et les orties vient de sa compassion à l'égard de tous les êtres vivants. L'araignée et l'ortie sont des créatures d'un Dieu d'amour et, à ce titre, elles aspirent à aimer et à être aimées : "la mauvaise herbe et la mauvaise bête/Murmurent : Amour !". Lautréamont, dans le texte extrait des Chants de Maldoror s’inscrit dans un monde démoniaque : il ne se contente pas de défendre le pou, il exalte avec une jubilation cruelle sa méchanceté supposée, spécialement à l'égard de l'espèce humaine. Si le pouvoir des poux était aussi grand que leur imagination et leurs désirs, affirme Lautréamont, ils ne se contenteraient pas d'aspirer le sang des humains, »Tout votre corps y passerait ». Lautréamont va plus loin dans la provocation que Hugo en prenant à parti le lecteur pour exalter le pou dont il fait un animal diabolique, doué de pouvoirs surnaturels.
En second lieu, des poètes vont même jusqu’à s’assimiler aux animaux méprisés. Contrairement à Victor Hugo qui ne s'identifie ni aux orties, ni aux araignées, Tristan Corbière s'assimile au crapaud, "rossignol de la boue", "poète tondu, sans aile" : "Bonsoir - ce crapaud-là c'est moi." Lautréamont s'identifie au pou et lui prête sa propre méchanceté rhétorique, provocatrice ou réelle à l'égard de l'humanité. Il n'est pas du tout question d'amour dans ce texte, comme dans "J'aime l'araignée", ni d'une identification à un animal laid mais inoffensif que l'on prend vaguement en pitié, comme dans "Le Crapaud" de Tristan Corbière, mais de délectation dans la cruauté.
Nous avons donc affaire à des visions très différentes du monde et de la poésie : une vision "évangélique" : celle de Hugo, pour qui la création tout entière aspire à la rédemption et à l'amour, la vision "luciférienne" de Lautréamont, teintée d'humour noir, une vision purement humaine, d'un homme qui se prétend disgracié, aussi bien physiquement que sur le plan de l'inspiration poétique et qui complaît dans un rôle de crapaud au sein de la société et de la littérature et enfin, avec Germain Nouveau, une vision satirique qui tourne en dérision une certaine idée de la poésie : sa noblesse et sa grandeur supposée, aussi bien par le sujet choisi que par la manière de le traiter. Ces poètes sont tous à leur manière des provocateurs.
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