Commentaire d’arrêt : CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA et Factortame (III), C-46/93 et C-48/93
Par Matt • 1 Mars 2018 • 2 166 Mots (9 Pages) • 1 180 Vues
...
- L’imputabilité au législateur national de la violation engageant la responsabilité étatique
L’un des problèmes essentiels soulevés par la Cour allemande et la Cour anglaise était de savoir si le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers, par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables, est applicable lorsque le manquement reproché est attribué au législateur national.
Sur cette question, la Cour a été très ferme dans ses propos. En effet, elle estime, au point 32 de l’arrêt, que le principe de la responsabilité « est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire par un Etat membre, et ce quel que soit l’organe de l’Etat membre dont l’action ou l’omission est à l’origine du manquement ».
En revanche, la Cour n’omet pas d’indiquer les raisons pour lesquelles l’Etat ne saurait exciper de ce que la violation de la règle communautaire est imputable au pouvoir législatif et non pas au pouvoir exécutif pour se soustraire à l’obligation de réparer le dommage qu’il a infligé aux particuliers : l’uniformité d’application du droit communautaire et le principe de l’unité de l’Etat (point 33 et 34).
En ce qui concerne l’uniformité d’application du droit communautaire, la Cour cite seulement l’arrêt Zuckerfabrick du 21 février 1991 pour observer que l’obligation de réparation « ne saurait dépendre des règles internes de répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels ». Il ne s’agit pas pour autant d’une manifestation de la supranationalité, propre à l’ordre juridique de l’Union, mais d’une règle traditionnelle du droit international général, ainsi que la Cour le rappelle au point 34. C’est ainsi que la Cour tire son argument des règles de la responsabilité en droit international public, qui considère l’Etat comme responsable dans son unité, que l’illicéité à l’origine du préjudice soit imputable au pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire.
La Cour conclut donc sur ce point « que le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque le manquement reproché est attribué au législateur national » (point 36).
Est ainsi confirmé l’idée selon laquelle toutes les instances de l’Etat sont tenues au respect des normes imposées par le droit communautaire. Cela permet une protection efficace des droits de particuliers, notamment leur droit à réparation garanti par le droit communautaire.
- Les conditions communautaires de mise en jeu de la responsabilité des Etats membres
Devant déterminer les modalités d’application du principe de responsabilité étatique au législateur national, la Cour de justice va venir préciser le critère de la marge d’appréciation des Etats membres, mais aussi, l’intensité de la violation, c’est à dire, en d’autres termes l’exigence d’une violation « suffisamment caractérisée » (A). On peut cependant voir, notamment dans la jurisprudence de la Cour, que cette exigence de violation « suffisamment caractérisée » a pu être atténuée (B).
- Le critère de la marge d’appréciation des Etats membres et de l’intensité de la violation
Avant d’examiner la signification des conditions de la responsabilité étatique pour violation du droit de l’Union, il convient de préciser la portée du critère de la marge d’appréciation des autorités nationales.
Au point 55 de l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame, la Cour précise que « le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisé est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par un Etat membre comme par une institution communautaire, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation ».
La Cour de justice constate ainsi que les instances nationales ne disposent pas systématiquement d’un large pouvoir d’appréciation mais seulement d’une compétence liée. Dans cette hypothèse, la responsabilité de l’Etat est alors engagée du seul fait de la violation d’une obligation claire, précise et inconditionnelle. Dans le cas contraire, c’est à dire quand les autorités nationales disposent d’un véritable pouvoir discrétionnaire, des conditions plus restrictives peuvent êtres admises, et en particulier, l’engagement de la responsabilité peut être subordonné aux trois conditions posées par l’arrêt Francovich, à savoir le fait que les justiciables puissent invoquer une atteinte à un droit protégé, que la violation à l’origine du dommage soit « suffisamment caractérisé » et qu’existe un lien de causalité entre le violation et le préjudice.
De plus, au point 56 de l’arrêt, la Cour va présenter les critères à prendre en considération afin de décider de l’intensité permettant de caractériser la violation comme « le degré de clarté et de précision de la règle violée, l’étendue de la marge d’appréciation, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé… ». Autant d’élément fournit au juge national dans son office de juge communautaire de nature à établir l’évidence et la gravité de l’infraction.
- Une remise en cause de l’exigence d’une violation « suffisamment caractérisée » ?
L’exigence, dans l’hypothèse où l’Etat membre dispose d’une certaine marge d’appréciation dans la mise en œuvre du droit communautaire, d’une violation « suffisamment caractérisée » a été atténué par la Cour de justice dans les affaires C-46/93 et C-48/93.
En effet, la Cour précise, dans le point 93 de l’arrêt, que « l’existence d’un arrêt de la Cour constatant préalablement le manquement est un élément certes déterminant, mais pas indispensable » pour vérifier que la condition de violation du droit communautaire soit suffisamment caractérisée.
Reconnaître que l’obligation de réparation à la charge de l’Etat concerné puisse être limitée aux seuls dommages subis postérieurement au prononcé d’un arrêt de la Cour constatant le manquement reviendrait à mettre en péril le droit à réparation des justiciables en cas de violation, par un Etat, du droit communautaire. En d’autres termes, cela reviendrait à mettre en péril la protection des droits des justiciables.
De
...