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Analyse stylistique de "Déjà", de Baudelaire (Le Spleen de Paris)

Par   •  25 Octobre 2017  •  2 368 Mots (10 Pages)  •  1 619 Vues

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Le paragraphe suivant s’inscrit dans la continuité thématique : l’impersonnel « il y en avait » extrait une partie de cette masse anonyme de passagers, pour lui prêter une pensée communce, indifférenciée, et pourtant paradoxale : ce que les passagers regrettent, ce sont des « femmes infidèles et maussades », et « une progéniture » (notons la nuance dépréciative) « criarde ». Autant d’adjectifs dépréciatifs, qui rendent l’attente des bons bourgeois embarqués dans cette croisière totalement irrationnelle (troquer un malheur pour un autre). Le narrateur montre ainsi l’exaspération poussée à un tel degré (comparatifs d’intensité « si affolés que »), non plus par la satisfaction de leurs besoins mais par une simple image « l’image de la terre absente », image métonymique de l’assouvissement de leurs besoins. L’attitude des passagers, du point de vue du narrateur (discret modalisateur « je crois ») en devient animale, et plus qu’animal (comparatif). Il y a en filigrane l’enthousiasme d’un retour à un état de bête, un renoncement à l’intelligence. Le mépris se devine : le sujet poétique est coupé de cette collectivité insatisfaite, avide, prête à retomber dans un état d’immobilité (le fauteuil immobile) morbide, ou d’animalité enthousiaste.

Le paragraphe suivant commence par l’antonyme de « déjà », « enfin » : une terre « magnifique, éblouissante » est en vue, portée par un « nous vîmes » qui cette fois unit le narrateur et les bourgeois dans la même découverte du rivage. Ici aussi, les éléments parlent : ce n’est plus l’alaphabet céleste, mais « les musiques de la vie » et le « vague murmure ». La senteur s’allie aux sons, comme en témoigne le champ lexical du parfum : « exhaler », « délicieuse odeur », jusqu’à la paronomase unissant « fleur » et « fruit » (et donc implicitement la beauté des fleurs à l’aspect nourrissier des fruits). La terre est montrée en expansion, d’un point de vue sonore, d’un point de vue visuel (éblouissante, riches en verdure de toute sorte), et d’un point de vue olfactif (jusqu’à plusieurs lieues). Un espace fascinant, plein de vie ; le contraire de la mer, qui est perçue, du moins par les passagers, comme un espace d’inconfort sensoriel (trop salé, trop bruyante, trop agitée).

Le paragraphe suivant décrit la réaction des passagers à la vue du rivage, avec la même approche distributionnelle de la totalité : chacun est répété deux fois (et le singulier que ce pronom représentant commande montre bien l’unité de la réaction). Cette réaction est immédiate, comme le montre l’adverbe de temps « aussitôt », et l’emploi du passé simple, pour marquer une série d’actions successives et transformationnelles. Les ressentiments (champ lexical bien fourni : « mauvaise humeur », « querelles », « torts réciproques », « duels convenus », « rancunes ») acquièrent au moment de leur disparition comme une autonomie fonctionnelle (place de sujets du verbes) et ne semblent pas attachés à une personne, mais à toutes ; mais surtout elles dessinent en creux une atmosphère de croisière particulièrement conflictuelle !

Mais le paragraphe suivant montre le sujet poétique coupé de cette exaltation, et de ce pardon général. « moi seul », et ici l’adjectif « seul » est porteur de rupture avec la globalité des passagers. Les deux marques de la première personne, apparaissant pour la 1ère fois dans le poème, marquent le passage de la description à un ressenti plus subjectif. « Moi seul j’étais triste, inconcevablement triste » (avec sa reprise répétitive, et l’expansion « inconcevablement », qui montre que l’on s’échappe du pur domaine des mots, que l’on sort de l’exprimable). = véritable bascule du poème, acquisition d’une singularité du poète, retour sur l’intériorité, l’intégration de l’expérience de l’auteur, son regard singulier, transcendant, présent depuis le début, mais cette fois-ci associé à sa conscience, sa sensibilité, sous le signe de la perte : « à un prêtre à qui on arracherait sa divinité » (on note le sous-texte religieux, où la mer est à la fois une divinité et une muse), « navrante amertume », « me détacher ». Dans une longue période définitoire de la mer, longue période ascendante, parachevée d’un point d’exclamation emphatique, le segment « de cette mer » est répété deux fois par maznière d’insistance. La mer est montrée comme un pendant de la terre, mais plus menaçante, moins franche dans ses manifestations : la mer est « monstrueusement séduisante » (association fréquente sous la plume de Baudelaire !), « effrayante par sa simplicité », et en définitive personnalisée : puisqu’on parle d’ « allures, de colères, et ses sourires ». La mer est le reflet des « humeurs, des agonies et des extases de toutes les âmes » (notons le crescendo dans l’intensivité expressive), et la phrase s’achève par la relative déterminative qui décline à tous les temps le terme « vivre » (et donc exprime une permanence de la capacité spéculaire de la mer). Pour la première fois, nous ppouvons accéder directement aux pensées du poète, pensées assumées, et tournées vers le passé, la mer, dont il est coupée, à qui il dit « adieu ». Le paragraphe suivant nous montre le poète regrettant une « incomparable beauté » (adjectif antéposé (donc marquant la manière d’être la chose, selon la grammaire guillaumienne, et apportant une nuance subjective au nom qualifié), incomparable qui rappelle d’ailleurs « l’inconcevablement triste » (même suffixe privatif in-, et même incommunicabilité de l’expérience : celle de la mer, celle du poète). « inconcevablement triste » qui est ici repris par « abattu jusqu’à la mort » (terme de mort contraste avec « la promesse des musiques de la vie ») Le poète est celui qui reste du côté de la rupture, du regret, du passé, de la mort, de l’idéal perdu : c’est le sens du mot « déjà ! » (qui rappelle le « jamais plus » (nevermore) de Poe), qui contraste fortement avec le « enfin » de « chacun de ses compagnons ». Le terme « compagnon », plutôt surprenant, laisse la possibilité de lire le poème non seulement comme le lieu d’une rupture géographique, d’un passage de la mer à la terre, mais aussi comme le lieu d’une rupture allégorique, poétique : seul le sujet poétique est capable de comprendre la véritable beauté de la mer, il est en opposition avec les autres êtres humains, les compagnons, fascinés par la terre, la splendeur du concret, du vivant, et non pas le spectacle mouvant, insaisissable, monstrueux et effrayant de la mer...

Le poème pourrait s’arrêter là : mais Baudelaire choisit

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