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L’imprévue était-il imprévisible?

Par   •  26 Novembre 2018  •  4 306 Mots (18 Pages)  •  441 Vues

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Les enjeux de la question posée nous apparaissent, au terme de notre parcours, comme intimement liés. En effet, la plus ou moins grande réalité de ce qui est appréhendé détermine un certain type de connaissance possible. Plus l'être est déterminé, plus je peux en avoir une connaissance adéquate. Mais l'enjeu éthique de ces deux problèmes est aussi apparu au fur et à mesure de l'analyse. Dans un monde où la nécessité est omniprésente, où l’imprévu n'est qu'une apparence, l'homme n'est aucunement libre, sinon d'acquiescer à l'ordre en place. Donc ce qui est imprévu, c'est ce que nous n'avons pu prévoir, ce qui a fait échec à notre capacité d'anticipation et de raisonnement à propos de l'avenir. Il y a de l'imprévu parce que l'homme n'est pas toujours capable de prévoir, l'avenir restant pour lui incertain. Mais il faut se demander d'où vient cette incertitude. Le plus souvent d'une paresse de la réflexion puisque nous ne nous interrogeons pas toujours sur les conséquences possibles de nos actions. L'imprévu serait alors le signe d'une pensée qui s'exerce mal, qui n'exploite pas toutes les possibilités. Cette responsabilité part du principe que nous pourrions connaître ce qui va arriver si nous avions en main la totalité des données physiques, psychologiques, sociales ou historiques qui déterminent telle ou telle action. Au fond la meilleure réponse à l'existence de l'imprévu, c'est la science qui montre que les lois qui régissent certains faits et certains phénomènes sont immuables et s'appliquent également pour l'avenir. Par exemple, la destruction de la couche d'ozone est imprévue, mais également prévisible si les hommes avaient fait preuve de plus d'attention et de lucidité. Or le sujet qui vous est posé tend à différencier l'imprévu de l'imprévisible. Pourquoi ? Parce qu'il existe une réalité qui est absolument imprévisible, que notre réflexion soit bien conduite ou pas, et qui s'appelle la liberté. En effet la liberté échappe à toute prévision puisque par définition elle permet de commencer quelque chose de radicalement nouveau. Ainsi Sartre a montré que l'homme étant libre, il échappe à toute tentative de détermination et de subordination à des lois qui seraient absolument nécessaires. Ou alors la seule chose que l'on peut prévoir, c'est que la liberté humaine n'est pas prévisible.

Au contraire, dans un monde où l’imprévu existe effectivement, il défie l'homme d'assumer la liberté qui lui est « offerte ». C'est alors que le rôle de l'imagination se révèle déterminant. La tradition grecque nous a donné un héros emblématique de cette qualité particulière en la « personne » d'Ulysse. Dans L'Odyssée, il fait l'expérience de ce qu'il y a de plus imprévu, à savoir la mer, dont les mouvements incertains, reflétant les caprices des Dieux, ne peuvent être domptés par la force brute. Comme le montrent les qualificatifs que lui attribue Homère, en l'appelant Ulysse aux mille tours, aux mille ruses (polytropos, polymétis), ce héros incarne parfaitement toutes les facettes et tous les pouvoirs de l'imagination qui permettent à l'homme de conquérir sa liberté malgré les indéterminations ou une réalité mouvante.

Le risque apparaît d'abord comme une figure de l'adversité. Il est ce qui peut, à tout moment, venir contrarier mes projets et mes entreprises. Il se manifeste ainsi comme une limite objective que le monde peut opposer à mon désir d'autonomie, et l'on comprend en ce sens que tout l'effort de l'homme puisse tendre à éliminer le risque. Qu'il s'agisse du projet prométhéen et techniciste de dominer la nature ou de la sagesse stoïcienne qui invite l'homme à être indifférent à l'égard de l'événement (qui est toujours plein de risques et qui ne dépend pas de moi), la finalité ultime est la même : il s'agit de mettre l'homme à l'abri du risque.

Une telle prétention qui vise à assurer à l'homme une autonomie parfaite, une assurance inébranlable (une sorte d'assurance tous risques) ne risque-t-elle pas de se retourner contre lui dans la mesure même où, en voulant éviter tout risque, l'homme pourrait bien méconnaître les exigences de l'action concrète et se couper ainsi du monde, d'un monde qui pour être plein de risques n'en est pas moins le lieu de toute liberté effective ? Dès lors ne doit-on pas affirmer que le propre de l'homme , dans la mesure même où il vit dans un monde où le risque (au sens objectif du terme) est présent, dans un monde de la contingence est de savoir prendre des risques ? En d'autres termes, le risque qui apparaît d'abord sous la figure de l'adversité, ne serait-il pas, pour l'homme, l'une des figures de l'altérité qu'il doit, comme telle, assumer ? Et cette assomption du risque ne serait-elle pas, pour l'homme, la seule prudence qui soit ? Notre société est à bien des égards une société non du risque mais de l'assurance. Et même des assurances. On nous propose en effet des assurances de toutes sortes : contre le vol, l'incendie... et même une assurance sur la vie qui n'est au fond qu'une assurance contre le risque ultime, le risque de la mort. Le risque est en ce sens, selon la définition du Petit Robert, « l'éventualité d'un événement ne dépendant pas exclusivement de la volonté des parties et pouvant causer la perte d'un objet ou tout autre dommage ». Le vol, l'incendie, la mort sont ainsi des risques objectifs, et l'on peut être tenté de s'assurer contre eux. La science, dans la mesure même où elle invite l'homme à se mettre à l'école de la nature afin de « prévoir et de pourvoir », pourrait être interprétée comme une tentative de maîtriser sinon d'éliminer totalement le risque. Pour ne prendre qu'un,exemple, la volcanologie aboutit bien à une meilleure prévision des risques naturels et ainsi à la sauvegarde de vies humaines.

On remarquera d'ailleurs que dans le domaine des mathématiques et de la physique pure, le risque est absent et cela dans la mesure même où ces sciences portent sur un objet scientifique qui est distinct de la chose entendue au sens courant du terme.

Cette tentative pour éliminer le risque reste cependant insuffisante dans la mesure où le monde de la science n'est pas (pas exactement) le monde où nous vivons : si dans une expérience scientifique tout peut être prévu,

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