Dissertation - Sommes nous aliénés par notre conscience morale ?
Par Plum05 • 9 Juillet 2018 • 2 154 Mots (9 Pages) • 746 Vues
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De fait, les normes sociales que nous partageons communément au sein de nos sociétés sont intériorisées, et peuvent constituer les fondements sur lesquels se construit la conscience morale. Durkheim, dans Les règles de la méthode sociologique, énonce le concept de « fait social », et explique que « Un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les individus ». Ainsi, il est indéniable que les normes sociales exercent sur l’individu une force dont il ne peut se soustraire. Cette force s’applique sur la conscience morale, en tant que l’individu intériorise ces normes. Et plus que cela, n’y-a-t-il pas également une force psychique, véritable facteur d’aliénation ? Freud explique l’homme est soumis à des pulsions internes, remettant en cause la maîtrise que le sujet peut avoir de lui-même et son unité : ces pulsions internes se heurtent à la conscience morale, aux valeurs morales incarnées par la conscience morale. La source de l’aliénation serait donc à la fois psychique et sociale, la conscience morale ne serait qu’un médiateur. Mais peut-on soutenir une telle affirmation ? Peut-on justement dire que la conscience morale aliène l’homme, que ce soit de façon intermédiée ou directe ? Cela reviendrait à dire que la conscience morale implique aliénation de l’individu, au sens de cession de notre individualité, et plus que cela, au sens de cession de notre liberté. Cela voudrait alors dire que la conscience morale suppose aliénation de l’individu au sens où l’individu devient étranger à lui-même, étant dépouillé de sa nature vraie. Mais de quelle nature parle-t-on ? Suppose-t-on ici que l’homme se trouve dépouillé de sa liberté ? Et qu’il n’est donc plus homme, puisque la liberté constitue l’une des caractéristiques de l’humanité ?
En réalité, le questionnement devient problématique, puisque dire que la conscience morale ôte à l’homme sa liberté – de pensée et d’agit- ce serait refuser à la conscience son pouvoir premier, qui est celui d’offrir à l’homme une identité, une conscience de soi et du monde voire une connaissance de soi et du monde qui l’entoure. Il y a précisément dans la conscience, la possibilité pour l’homme de prendre acte de l’existence du monde, et de prendre acte de sa propre existence. Alain définissait la conscience comme : « C’est le savoir revenant sur lui-même, et prenant pour centre la personne humaine elle-même, qui se met en demeure de décider et de juger » (Définitions, 1953). L’expérience du décentrement de la conscience est en réalité nécessaire : elle est une condition essentielle de la constitution même de soi, elle est le propre de l’homme. Rousseau écrit dans l’Emile : « Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix […] juge infaillible du bien et du mal qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ». Mais alors, la conscience est bien plus une force, un pouvoir octroyée à l’homme, qu’un facteur ou une source d’aliénation. Autrement dit, cela signifie que la conscience morale ,certes, fait que l’individu se sent tenu de renoncer à une partie de sa nature, de sa liberté donc, pour contribuer au bon fonctionnement du tout social, dont il bénéfice lui-même (Rousseau, Du Contrat Social), tout en étant tenu de renoncer à ses pulsions intérieures, mais elle lui offre le pouvoir de s’affirmer en tant qu’être autonome. Là est le cœur du problème : la conscience morale n’est autre que le tremplin vers l’autonomie, et n’est-ce-pas là justement l’affirmation suprême de la liberté ? Certes, l’homme se soumet, par la conscience morale, aux impératifs d’ordre moral. Mais cette soumission est volontaire, elle est le signe ultime de la raison humaine : l’homme obéit, certes, mais il obéit à ses propres lois. Il est donc par là libre (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs) . Cette capacité qu’a l’homme de se soumettre à sa propre loi, à sa raison, n’est effective que par la présence d’une conscience, et de surcroît d’une conscience morale. Par la conscience morale, il n’y a donc pas renoncement à la liberté humaine, mais bien plutôt affirmation de la liberté car construction de l’autonomie de l’homme.
Il se pourrait alors que la restriction et le dessaisissement pulsionnels du moi opérés par la conscience morale ne se réduisent pas à une simple déperdition, à un abaissement ou à une diminution, mais qu’ils conduisent en fait à une promotion par laquelle le moi serait dépassé et rehaussé dans la conscience de sa propre humanité, appréhendée dans sa dimension universelle. Il y a donc, in fine, une nécessité positive de l’aliénation morale, comprise comme une condition d’accès à l’autonomie du sujet.
La question initiale supposait que l’on interroge les relations et liens entre conscience et sujet, entre moralité et nature humaine. Puisque si aliénation il y a, il convenait de poser ce sur quoi cette aliénation s’opère : sur une identité du sujet qui demeure malgré le temps qui passe et les qualités qui varient ? Mais si identité du sujet il y a, c’est justement grâce à la présence de cette conscience. Husserl explique que « toute conscience est conscience de quelque chose » : ici même, la conscience morale implique certes une modification de nos actions et pensées, il y a donc bien aliénation, mais cette aliénation n’est en aucun cas dépossession et déperdition du sujet. Elle est condition d’un dépassement de l’homme et d’accès à la liberté humaine. Puisque il n’y a liberté que s’il y a autonomie du sujet : l’homme devient, par la conscience, responsable et autonome. Et ce n’est que par ce biais là qu’il peut affirmer sa liberté, et de surcroît, sa dignité. Pascal écrit, dans Les Pensées : « L’homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais il est un roseau pensant », montrant alors que, par la conscience, l’homme se sait misérable dans cet univers immense, il se sait soumis aux lois qui l’entourent, mais ce savoir le rend digne (il sait, précisément, qu’il n’est pas grand-chose). Plus qu’aliénation, il y a , grâce à la conscience morale, affirmation suprême de la dignité et de la liberté humaine.
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