Les provinciales, Texte de Pascal
Par Orhan • 15 Novembre 2018 • 2 418 Mots (10 Pages) • 679 Vues
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Relevant du discours, elle ne peut agir que sur d’autres discours, et sur des esprits. Ainsi ne peut-elle maîtriser les corps et arrêter leur violence. Force est de constater qu’on ne peut raisonner celui que la violence aveugle. Par contre, nous dit Pascal, la vérité, « les discours véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n’ont que la vanité et le mensonge. ». Là encore ce qui est dit ne se donne pas à comprendre immédiatement. Précisons, seul un discours peut réfuter un autre discours. Jamais la force ne donnera raison et ne permettra donc d’établir la vérité ou la fausseté d’une affirmation. La force intimide et paralyse mais ne saurait convaincre et faire que la vérité ne soit pas vraie. Celui qui a le dernier mot n’a pas forcément raison. Par contre, comment comprendre l’affirmation selon laquelle la vérité dissipera le mensonge et la mauvaise foi ? Le mensonge, le discours présomptueux, qui séduit plus qu’il ne convainc, ne peut-il triompher ? ( même si ce n’est que momentanément ). Cela est incontestable. Par contre, ce qu’il faut comprendre ici c’est que ; lorsque la préoccupation des hommes est bien de découvrir la vérité ( et non par exemple de l’emporter sur l’autre ) c’est le discours vrai qui l’emportera. Le mensonge n’a-t-il pas bien du mal à se dissimuler lorsque la vérité lui demande des comptes et met à l’épreuve sa cohérence ? Malheureusement, il faut également remarquer que le désir de vérité peut être étouffé par d’autres désirs ( de puissance, des honneurs, du confort…) et que l’exigence de vérité est donc loin d’être immédiate. L’homme a donc également à engager une lutte à l’égard de ses propres désirs s’il veut pouvoir entendre la voix du discours vrai. Sans quoi, force est de constater, qu’il ne suffit pas d’avoir raison pour convaincre. Ainsi, si les discours vrais et convaincants peuvent s’imposer et vaincre d’autres types de discours plus séduisants, c’est à condition que l’homme soit éduqué et qu’il sache résister à la tentation du pouvoir et de la violence. On comprend alors, que le conflit de la violence et de la vérité se joue déjà en l’homme avant de se jouer entre les hommes.
Par ailleurs Pascal semble ici distinguer radicalement l’ordre de la force et celui du discours, mais le discours, la parole par exemple, ne peuvent-ils s’apparenter à une forme de violence ? La parole ne peut-elle pas être une arme au service de la violence ?
Si la violence et la vérité sont donc en un sens impuissantes l’une sur l’autre, Pascal refuse pourtant de considérer que les choses soient égales. C’est bien la vérité qui finira malgré tout par triompher nous dit-il dans un deuxième moment. Comment rendre compte de cette victoire à terme de la vérité ? S’agit-il d’un simple idéal posé ici par Pascal ? Il semblerait que non dans la mesure où il continue son entreprise de justification. Là encore, il y a à considérer la différence entre les deux ordres. La violence »n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu ». Que faut-il entendre par là ? Gardons-nous de conclure trop hâtivement que Dieu interviendrait dans le cours des choses humaines et pire qu’il aurait recours à la violence pour rehausser la vérité, cela serait contraire à sa bonté. Par contre, comprenons que la violence, comme l’ensemble des actions humaines n’a qu’un cours borné, parce qu’elle est périssable, finie, soumise à l’ordre du temps ; Comme le dit Rousseau « le plus fort n ‘est jamais assez fort pour être toujours le maître… » Sa victoire ne pourra être que passagère, même si la guerre contre la vérité pourra être reconduite éternellement.
Tandis que la vérité en un sens, dépasse cet ordre temporel et se montre comme étant « éternelle et puissante comme Dieu même ». Puissante parce que même si elle peut être vaincue, elle finira par triompher, l’histoire le montre ; C’est finalement Socrate ou encore Galilée qui ont triomphé. Ce qui est vrai possède en un sens une éternité, Comment peut-on dire par exemple que les vérités mathématiques finiront par ne plus être vraies ? Il est vrai qu’il est pourtant difficile de ne pas considérer que nos vérités scientifiques ont un caractère historique et dépendent donc des progrès accomplis par la raison humaine. Ce qui est vrai possède néanmoins un caractère universel qui nous permet d’espérer que la vérité, une fois établie finira par être reconnue par tous. Pour cela, nous n’avons pas nécessairement besoin de l’hypothèse d’un Dieu qui orienterait le cours des évènements à la faveur de la vérité et qui serait même l’auteur de celle-ci. Dire que la vérité est éternelle et puissante comme dieu, c’est faire une analogie, donc signaler une différence entre Dieu et la vérité. Même s’il est vrai que le texte autorise plusieurs interprétations. Le spectacle de l’histoire peut nous donner des raisons d’espérer, même si l’éternel recommencement de la guerre nous désespère.v La défaite de la vérité ne serait que provisoire, cela est parfois ainsi et il faut que cela soit ainsi si nous ne voulons pas désespérer. A quoi bon chercher la vérité si nous ne pouvons grâce à elle parvenir à nous entendre, instaurer un discours universel et ainsi triompher de nos impulsions les plus violentes ? Faire en sorte que chacun puisse être capable de reconnaître la valeur de la vérité, de l’universalité contre le particularisme du désir et de la violence, c’est préparer la paix. Platon l’avait bien compris. La recherche de la vérité est bien en un sens, ce qui devrait pouvoir vaincre la violence.
Pascal souligne à travers ce texte à la fois la misère de l’homme, voué à mener un combat éternellement recommencé contre lui-même, et contre ceux dont les mauvais penchants ont été exacerbés. Misère de l’homme affecté d’une nature duelle, tiraillée entre deux ordres, celui de la violence et de la vérité, de la passion et de la raison, qui veut la paix mais qui peut difficilement renoncer à son caractère belliqueux. Mais il souligne également sa grandeur. L’homme est capable de s’élever vers une vérité qui le rapproche de Dieu dans ce qu’elle peut avoir d’éternel. L’exigence de vérité, que nous devons cultiver, constitue ce qui doit orienter le progrès de l’esprit humain. Nous devons continuer à croire à la victoire finale de la vérité sur la violence.
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