Qu'est-ce qu'une nation?
Par Andrea • 27 Novembre 2017 • 5 554 Mots (23 Pages) • 721 Vues
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De surcroît, les peuples germaniques, alors vainqueurs, ont adopté la langue et la religion des peuples vaincus au lieu d'imposer les leurs. Les différents États qui résultent des invasions germaniques sont caractérisés par « la fusion des populations qui les composent ». Cette fusion est le fait de deux circonstances essentielles, comme nous le disions plus haut : le christianisme et l'oubli de la langue maternelle des conquérants. En effet, les peuples germaniques ont adopté le christianisme dès les premiers contacts avec les peuples grecs et latins. Or quand le vainqueur adopte la religion du vaincu, la distinction absolue des hommes selon leur religion ne peut plus se produire. Concernant l'oubli de la langue, ce fait est sans doute la conséquence du manque de femmes germaines parmi les conquérants, qui poussait la tribu à se mélanger aux autochtones en se mariant avec des femmes latines. Ainsi, dans les nouveaux territoires acquis, quelques générations suffisaient pour que les conquérants perdent leur langue d'origine. Malgré l'extrême violence des mœurs des envahisseurs germains, le moule imposé est devenu, avec les siècles, le moule même de la nation. La France est devenu un pays dominé par une minorité de Francs, mais entièrement acculturé par le mélange avec la population native. L'idée d'une différence de races dans la population de la France n'est présente chez aucun écrivain ou poète français postérieur à Hugues Capet. D'ailleurs, Renan souligne que dans les miroirs de l'esprit du temps que représentent les chansons de gestes, tous les habitants de la France sont des Français.
L'appartenance ethnique est donc rapidement oubliée et ce, au profit d'une distinction accentuée entre le noble et le vilain. La distinction entre les hommes, au bout de quelques générations, ne pouvait plus se faire sur l'origine, la langue ou la religion mais sur d'autres critères tels que le courage, l'éducation ou le rang social. L'idée que tout cela soit la conséquence d'une conquête n'est venue à personne. Ainsi, l'influence profonde des envahisseurs normands sur le pays conquis est ignorée car au bout d'une ou deux générations seulement, ceux-ci ne se distinguaient plus du reste de la population.
Le nouveau système de distinction se construit sur une erreur historique : la croyance sociale prête au noble un caractère courageux et éduqué alors qu'il tient en fait son rang d'une conquête violente. Si l'unité « se fait toujours brutalement », il n'en demeure pas moins que le facteur de l'oubli collectif de certains événements violents est crucial. En effet, si la violence est un moyen de réunir deux ou plusieurs entités distinctes grâce à la domination du vainqueur, il est important qu'un oubli se produise pour que puisse s'établir la possibilité de vivre ensemble et non que persiste un sentiment d'occupation permanente. Pour reprendre les termes de Renan, « l'oubli et l'erreur historique sont un facteur essentiel à la création d'une nation », car sans cet oubli nécessaire, les individus se construisent sur des différences et les entretiennent. Quant au progrès des études historiques, il peut représenter un danger pour la nationalité puisque l'investigation historique fait ressurgir les faits de violence à l'origine des formations politiques, démystifiant tout récit idyllique des origines.
Le roi de France est, selon Renan, « le type idéal d'un cristallisateur séculaire » puisqu'il réussit ce que beaucoup d'autres pays échouent à mener à terme : la réalisation de la parfaite unité nationale. Cette unité nationale est confirmée et concrétisée par la Révolution française qui est l'exemple même de ce à quoi peut aboutir une nation qui existe par elle-même. « C'est d'ailleurs la gloire de la France d'avoir, par la Révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. » L'unité nécessite deux éléments fondamentaux : l'oubli ainsi que le sentiment de communauté. En effet, « l'essence d'une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses ». Ainsi, aucun citoyen français ne sait quel est son origine et tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy et les massacres du Midi au XIIIe siècle. Toutes les nations ne trouvent pas leur unité en passant par une dynastie comme la France, pour certaines l'unité a été réalisée par la volonté directe des provinces (Hollande, Suisse, Belgique), et pour d'autres par un esprit général, tardivement vainqueur des caprices de la féodalité (Italie, Allemagne). Quoi qu'il en soit, la nation moderne résulte toujours d'une série de faits convergents dans le même sens.
Tout cela ne définit pas ce qu'est concrètement une nation. Avant de le faire dans sa troisième partie, l'auteur verra d'abord dans la deuxième ce qui ne peut pas permettre de définir une nation, montrant ainsi bien son opposition à la définition de Fichte et plus généralement à la conception allemande.
B) Critique des définitions fondamentalistes de la nation
Pour certains théoriciens politiques, une nation est avant tout une dynastie qui représente une ancienne conquête oubliée par la masse du peuple. La plupart des nations modernes proviennent d'une famille d'origine féodale et sont constituées au départ d'un noyau de centralisation. C'est le cas pour la France, dont le noyau est une famille d'origine féodale : les Capétiens. Mais la nation ne se limite pas à une dynastie représentant l'ancienne conquête puisqu'à l'époque des annexions, il n'y avait pas une conscience claire des limites naturelles, ni du droit des nations, ni de la volonté des provinces. Ainsi, Renan met en avant le fait que l'existence d'une dynastie, bien qu'elle puisse être à l'origine de l'élaboration d'une nation, n'est pas le facteur unique et indispensable à cela. Il démontre ce point par des exemples concrets tels que la Suisse ou les États-Unis qui sont bel et bien des nations mais qui ne sont pas construites sur une base dynastique mais sur des regroupements successifs. L'exemple hexagonale montre, quant à lui, que la nation qui s'est construite sur ce socle dynastique a pu, malgré la disparition de ce dernier après la Révolution française, se maintenir et se développer. La nation ne s'est pas effondrée avec la décapitation du roi. C'est bien
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