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Fiche de lecture - Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour, 2014

Par   •  19 Avril 2018  •  4 546 Mots (19 Pages)  •  4 174 Vues

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Regarde les lumières mon amour montre que le public qui fréquente les hypermarchés représente une population relativement mixte, voire la France entière : « tous ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un hypermarché ne connaissent pas la réalité sociale de la France d’aujourd’hui » (p. 12). En effet, l’hypermarché désigne un lieu où se côtoie différentes personnes de tous âges, de tout sexe et la représentation sociale d’une grande majorité des Français, des classes populaires aux classes moyennes, voire même la petite bourgeoise, à l’exception de quelques classes sociales ou de groupes socio-professionnels (la haute bourgeoisie, les hommes politiques, etc.). Elle y retrouve aussi une grande mixité ethnico-culturelle, c’est-à-dire des individus aux couleurs de peau variées, venant d’origines d’aires géographiques très différentes (Arabe, Européen, Asiatique, etc.) et des styles vestimentaires différents.

Toutefois, en reprenant les travaux de Sylvie TISSOT[4], elle renverse la thématique de la mixité et de la diversité. En effet, on peut dire qu’il existe une mixité au sein des hypermarchés, mais ils peuvent aussi cacher une relocalisation des distinctions. Elle s’analyse en trois niveaux. Tout d’abord, il existe une tranche horaire pour certains types de population : « la clientèle du soir, plus jeune, plus diverse ethniquement, contraste avec celle du jour. L’heure des courses ségrégue les populations de l’hyper. Le matin tôt, c’est le moment des couples de retraités […], au milieu de l’après-midi, il y a beaucoup de femmes seules […] à partir de 17 heures, afflux des gens qui sortent du travail » (p. 37), « il y a des gens, des populations, qui ne se croiseront jamais » (p. 38). Ensuite, l’univers de l’hypermarché est principalement un univers féminin : les deux sexes sont présents dans ce lieu mais les femmes sont surreprésentées. « Les super et hypermarchés demeurent une extension du domaine féminin, le prolongement de l’univers domestique » (p.51) Enfin, il existe un agencement géographique au sein du magasin en fonction du pouvoir d’achat : si presque toutes les classes sociales vont à l’hypermarché, elles ne se mélangent pas une fois à l’intérieur. En effet, les plus pauvres vont au rayon Discount, attirés par des prix bas, ainsi que les classes moyennes voire supérieures sont au centre du magasin ou aux rayons Bio (pp. 24-26).

Annie ERNAUX met en avant dans son journal les différentes stratégies commerciales, qui ont pour but d’inciter les individus à la consommation. Elle montre tout d’abord que l’hypermarché est organisé de façon qu’il soit un lieu hors du temps et très agréable. Il incarne un cadre très agréable : dehors, il fait froid alors qu’à l’intérieur il fait chaud (« Ce plaisir d’être enveloppée par la chaleur sitôt franchie la porte 2 du centre commercial […] Oubliés la boue et la froid, la grisaille, la circulation » (p. 52)), l’absence d’une horloge pour « perdre la notion de l’heure » (p.52) et une attention particulière à la décoration, comme celle de Noël (« La « magie de Noël » est signifiée partout. Des guirlandes descendent en pluie d’argent au-dessus des escalators » (p.29)) ou aux belles lumières (« on monte vers les guirlandes et les illuminations qui pendent comme des colliers de pierres précieuses. […] Elle se penche vers l’enfant « Regarde les lumières mon amour ! » » (p. 40)). De plus, l’hypermarché peut être aussi pensé comme un lieu divertissant après une journée de travail : d’ailleurs, elle le ressent aussi car elle se détend à l’hypermarché lorsqu’elle ne supporte plus d’écrire (p. 44). En somme, l’hypermarché est organisé de façon qu’il soit perçu comme un lieu agréable dans lequel les clients ressentent des sensations et de sentiments de bien-être. Si le client se sent bien, il ne se dépêche pas, sauf à la caisse[5]. Et du coup, il est plus enclin à acheter et à consommer au sein de l’hypermarché. Par contre, si l’hypermarché est organisé dans le but de « garder » le client, il est également fait pour que le client soit toujours en mouvement. S’il reste à un point fixe, il peut ne pas être susceptible d’acheter : « il y a […] deux petites chaises de plastique situées dans le passage entre les deux ailes. […] L’hyper est prévu pour la circulation la plus efficace. Les sièges l’entraveraient et inciteraient au repos. Les lieux de consommation sont décidément conçus comme ceux du travail, avec pause minimale pour un rendement optimal. » (p. 32).

De plus, la direction de l’hypermarché fait tout pour cibler les différentes populations qui englobent les clients. En effet, elle met à profit de cette grande mixité de population pour maximiser leur profit. S’il y a des cadres qui viennent à l’hypermarché, la direction leur propose les produits qu’ils aiment : de bonnes bouteilles de vin, du fromage au lait cru, le rayon Bio, des produits de qualité. C’est « une sorte de Grande Epicerie du bon marché en modèle réduit » (p. 25). Par opposition, pour les individus qui ont un faible revenu économique, elle leur propose des prix très bas, au détriment de la qualité : « en face, un grand rayon, le self discount » (p. 26), voire faire une offre mensongère ! En effet, ERNAUX se rend compte que la quantité de viande venue à très bas prix suppose une très faible dose par personne, et donc le prix n’est pas si bas : « Je calcule rapidement : une famille de quatre personnes qui mangerait tous les jours cette maigre portion dépenserait tout de même 120 euros par mois » (p. 56). Enfin, face aux différents groupes ethnico-culturels, elle adapte les produits en fonction du calendrier de ces groupes, comme le Nouvel An chinois avec la « semaine chinoise » (p. 48), qui cible les asiatiques (« [Ils] évoquent le Nouvel An chinois avec excitation […] : « A l’école, ils ont mangé chinois ! » (p. 49)) ou le Ramadan pour cibler les pratiquants musulmans avec les rayons halal (p. 25) et la « semaine orientale » (p.63)

Evidemment, les offres promotionnelles influencent beaucoup les comportements de consommation des individus en « calendriant » leurs désirs. L’hypermarché crée le désir et une « communauté de désirs ». En effet, l’hypermarché est inondé d’offres promotionnelles qui incitent à la consommation : « Vendredi – 30% sur un produit identique » (p. 24), « Boucherie à moins de 1 euro ; Les solutions moins chères d’Auchan ; Viande à 1 euro par personne » (p. 25), « Les prix sont en lettres gigantesques, toujours sur le même fond jaune acide, [qui] agit de façon hypnotique » (p. 34).Le magasin adapte ses produits en fonction des événements

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