Fiche de lecture - 2008, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir.
Par Plum05 • 25 Octobre 2018 • 2 016 Mots (9 Pages) • 684 Vues
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Ce manque de moyens s’explique par le mépris qu’on accorde à leur service par rapport à d’autres « plus nobles » pour reprendre les mots d’Alexis Spire. Ainsi plus les agents sont proches des usagers plus leur travail est déconsidéré car « sale » et « dégradant ». La machine qui permet d’enregistrer les empreintes digitales des étrangers et implique donc un contact direct avec eux est ainsi surnommée « Eurocrade » au lieu de « Eurodac ». Ce mépris pour les fonctions proche des usagers se ressent aussi dans les différents locaux d’une préfecture, celui de la direction sera à part et mieux entretenu que ceux réservé à l’accueil. Cette homologie structurale entre la fonction et les conditions de travail se retrouve aussi dans le profil de ceux qui accèdent à ces fonctions. Alexis Spire remarque que les agents du service des guichets n’y avaient aucune vocation et s’y retrouvent à défaut d’avoir été accepté ailleurs. Ce sont aussi plus souvent des femmes ou des personnes issues de l’outre-mer ou de l’immigration donc des catégories de la population également stigmatisées. L’accueil des étrangers est donc un espace de relégation des stigmatisés et des précarisés, c’est ce qui explique la forte importance de vacataires qui rejoignent souvent le rang des pragmatiques.
Ces services sont gérés à la manières d’une entreprise et cela avant même la mise en place de la politique du chiffre. La parcellisation des tâches et sa spécialisation ont été développés dès les années 1960. Il y a par conséquent une importante dilution des responsabilités ce qui ne peut que renforcer les volontés d’indifférence des pragmatiques ou de résignation des réfractaires sur le traitement des étrangers. La réception des dossiers et leur traitement sont séparés et par conséquent les dépersonnalisent. Les étrangers ne sont donc pas en mesure de négocier sachant que les agents cherchent à traiter leurs dossiers le plus vite possible, les dossiers trop compliqués ou au procédures trop longues seront donc souvent refusés. Les différents bureaux ont d’ailleurs été mis en concurrence sous Sarkozy et ne pas respecter les objectifs entraînent des sanctions.
L’interprétation des directives de l’Etat ce fait sur le même modèle dépersonnalisé mais répondant aux objectifs de la politique du chiffre. Elles sont floues et parfois jugées contre-productives car allant à l’encontre du contrôle du flux migratoire, Alexis Spire en plus de le démontrer le remarque à travers les avis de certains guichetiers. Leur interprétation dépend donc à la fois des intermédiaires entre les bureaux et l’administration centrale, de celle des directions de chaque bureau, et enfin du guichetier lui-même. Le flou juridique et le manque de formations dans le droit pousse donc fortement ces guichetiers à se conformer à cette logique d’efficacité déshumanisée et stigmatisante dans l’accueil des migrants. L’activité bureaucratique d’accueil des migrants s’est ainsi totalement conformée aux objectifs politiques de long terme de stigmatisation des migrants, quitte à aller parfois contre ceux de courts termes énoncés dans les directives. C’est là tout l’intérêt de l’ouvrage d’Alexis Spire puisqu’on y découvre le dévoiement d’une administration qui ne sert plus ces administrés mais des intérêts autres, ici allant à l’encontre des intérêts de ces usagers les étrangers.
Ma dernière partie s’attachera donc à comprendre la réalité du droit dans cette administration française, qui ici perd son rôle protecteur envers les étrangers pour ne servir que comme instrument supplémentaire de stigmatisation et de précarisation de leur situation dans un climat de méfiance envers eux. Alexis Spire illustre cela avec l’accueil d’un curé libanais dans une position favorable pour obtenir un titre de séjour, la guichetière ayant noté « présente bien » dans son dossier. Celui-ci n’est pas en mesure de rendre compte d’une source régulière de revenu et dans le doute la guichetière préfère lui donner une autorisation de trois mois seulement pour qu’il étoffe encore son dossier. Sa décision n’est en rien marquée par le droit mais au contraire par des objectifs politiques, en tant que défenseur de l’ordre économique comme dit plus haut elle ne doit pas engager la responsabilité de l’Etat car on ne pourra pas facilement lui refuser le renouvellement de son titre de séjour si ces doutes sont fondés. Le droit à se faire renouveler son titre de séjour est ici vu comme une contrainte future donc autant ne rien lui garantir sur le moment. Cela va parfois même à l’encontre de droits des étrangers, on peut reprendre l’exemple de la guichetière qui se méfie des mariages arrangés, si elle a un doute elle préfère faire stagner la situation jusqu’à ce que les usagers abandonnent en leur demandant toujours plus d’informations pour compléter leur dossier. Ce flou juridique où la loi est parfois clairement enfreinte démontre un très important pouvoir discrétionnaire des guichetiers. Après tout ils sont les seuls en mesure de mettre en avant tel ou tel critère pour juger d’un dossier selon l’impression que leur fait l’étranger alors que ce n’est pas eux de trancher pour la validation d’un dossier. C’est l’objectif chiffré qui compte avant tout car ils ont des comptes à rendre sur cela, pas sur le respect des procédures.
Le livre d’Alexis Spire permet donc de bien comprendre le fonctionnement de la politique migratoire à travers le fonctionnement des bureaux ainsi que des représentations de ceux qui y travaillent. Le positionnement apparent de l’auteur est largement contrebalancé par les arguments qu’il avance. L’interprétation de son observation étant très équilibrée entre témoignages, fonctionnement supposé des lois et leur application effective dans ces bureaux de l’administration elle gagnerait sûrement à être comparée à d’autres administrations françaises pour y déceler des tendances de fond générales à toutes les administrations françaises ou au contraire pour y percevoir de réelles différences entre elle.
Sites consultés
https://lectures.revues.org/
www.laviedesidees.fr/
À quoi sert la sociologie ?, Bernard Lahire 2002
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