La constitutionnalisation de l'Etat d'urgence
Par Orhan • 9 Avril 2018 • 4 464 Mots (18 Pages) • 599 Vues
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- Une constitutionnalisation légitimée par la fonction sécuritaire de l’Etat
Dès les philosophes des Lumières, que ce soit Hobbes avec Le Léviathan en 1651 ou encore Rousseau en 1762 avec son ouvrage Du Contrat social, l’intérêt de l’Etat est de garantir la sécurité des citoyens, ce qui lui confère sa légitimité et pousse les individus à abandonner une partie de leurs libertés en contrepartie. L’état d’urgence, même s’il correspond à une mise entre parenthèses de l’Etat de droit, s’applique, selon la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Ainsi, selon cette conception de l’Etat, qui influence encore largement notre pensée actuelle, l’état d’urgence est légitimé par son objectif principal qui est la protection de la population. Nous comprenons donc que le projet de révision constitutionnelle concernant la prolongation de l’état d’urgence et la déchéance de nationalité pour les terroristes ait été adopté le 10 février dernier à 317 voix contre 199, soit légèrement plus que les trois cinquièmes des suffrages exprimés nécessaires. Toutefois, les critiques virulentes exprimées à l’encontre de ce projet posent la question du réel intérêt de son application à plus ou moins long terme dans notre République. Il en ressort alors que le projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence permettrait, principalement, de mieux encadrer et organiser cette procédure déjà inscrite dans les lois du 3 avril 1955 et du 20 novembre 2015, et ainsi d’assurer la garantie des libertés individuelles en la conciliant avec l’exigence de sécurité recherchée en état d’urgence. En effet, inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, c’est imposer au pouvoir législatif un cadre constitutionnel précis pour organiser cette procédure, mais cela sous certaines conditions. L’état d’urgence bénéficie, d’une certaine manière, déjà d’un cadre à travers la jurisprudence opérée, d’une part, par le Conseil Constitutionnel lui-même avec les arrêts du 25 janvier 1985 prononçant l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et de décembre 2015 suite aux attentats à Paris, et d’autre part par les nombreux arrêts du Conseil d’Etat. Mais ce fonctionnement est contestable, car le juge est alors seul à fixer les limites constitutionnelles de l’état d’urgence, limites facilement modifiables si l’on prend en compte que la loi du 20 novembre 2015, ayant apporté de nombreuses modifications à l’état d’urgence tel qu’il était prévu jusqu’alors par la loi de 1955, n’a fait l’objet d’aucune saisine parlementaire par le Conseil Constitutionnel, et que la dernière décision rendue par ses membres l’a été suite à une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Ainsi, l’importance de la constitutionnalisation de l’état d’urgence apparaît évidente, dans la mesure où celle-ci en fournirait un cadre précis, permettrait d’assurer l’encadrement de la période où il serait fait exception à la légalité ordinaire, en fixerait les règles. Cette constitutionnalisation, qui toucherait le futur article 36-1 de la Constitution, serait totalement légitimée, si elle spécifiait clairement, d’une part, les conditions de déclaration de l’état d’urgence, et les raisons de cette déclaration, ce qui permettrait de préciser que les mesures prises par les forces de l’ordre devront être en lien direct avec les raisons ayant poussé à déclarer l’état d’urgence, afin d’éviter toute dérive. Mais, d’autre part, effectuer une révision constitutionnelle, oblige, comme le spécifie l’article 89 de la Constitution, que l’initiative de la révision appartienne concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement, que ce projet soit voté par les deux assemblées en termes identiques, et, généralement, qu’il ne soit approuvé que s’il réunit les trois cinquièmes des suffrages exprimés. Ainsi, ces conditions de déclaration et d’exécution de l’état d’urgence fourniraient, grâce à cette constitutionnalisation, le cadre constitutionnel précis nécessaire à la légitimation de cet état exceptionnel, qui répond alors bien, sous certaines conditions entravant en partie les libertés individuelles, à l’objectif premier de l’Etat qu’est la garantie de la sécurité des citoyens. Cependant, cette constitutionnalisation reste très contestée, ce qui nous pousse à nous demander si les avantages apportés par cette procédure ne seraient pas dépassés par ses défauts.
- Un projet de révision contestable au regard d’un arsenal juridique contre le terrorisme d’ores et déjà efficace
La constitutionnalisation de l’état d’urgence fait aujourd’hui polémique, et ce surtout parce que cette procédure faisait, depuis 1955, l’objet d’une loi qui, liée au dispositif législatif anti-terroriste en place, était assez efficace. Alors les objectifs de cette révision sont contestables dans le sens où ce n’est pas forcément ce dispositif législatif qui a failli face à la menace terroriste, mais aussi parce qu’il apparaît que cette loi constitutionnelle n’apporte pas de grands changements par rapport à la loi jusqu’alors effective. Ainsi, cette révision semble totalement inutile, ce qui pose la question du réel objectif du Gouvernement, qui pourrait utiliser l’urgence et la peur pour se légitimer en tant que garant de la sécurité de sa population (a). De plus, ces objectifs sont aussi remis en question si l’on s’intéresse aux problèmes que cette révision pourrait poser, entravant les libertés individuelles et les valeurs de la République (b).
- Une révision en apparence inutile renforçant la politique de communication et de légitimation du Gouvernement
Cette procédure de constitutionnalisation de l’état d’urgence apparaît en période de crise suscitée par une série d’attentats. Ainsi, si cette révision constitutionnelle trouve sa légitimité dans la gravité de la situation à laquelle elle est censée faire face, elle apparaît également dans la peur et l’urgence, et peut alors sembler constitutionnaliser la frénésie sécuritaire due à cette crise. De plus, même si cette procédure fait l’objet, comme toute loi constitutionnelle, d’un procédé d’adoption strict, celui-ci peut être remis en cause, tant par l’urgence dans laquelle il est effectué, posant la question de la réelle réflexion dont cette décision
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