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Nathalie Sarraute, Enfance, extrait

Par   •  8 Novembre 2017  •  1 628 Mots (7 Pages)  •  2 026 Vues

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3. – Le choix de Nathalie Sarraute

Elle ne se décide pas pour une solution plutôt qu’une autre, elle s'approprie les trois possibilités. Ce choix implique deux opérations : séparer et relier.

a. – Séparer

De toute évidence, le texte n’est pas uniforme. On y trouve de longues périodes, d’une seule coulée, et des phrases délibérément coupées, voire trouées, par des points de suspension, qui interviennent à des endroits où l’on attendrait plutôt des virgules, des points-virgules ou de simples points. Ces e suspension permettent de mettre bout à bout des morceaux hétérogènes, sans masquer la discontinuité. Ainsi se succèdent des passages narratifs, descriptifs, discursifs[1], poétiques mais également des objections, des injonctions, des interrogations, des adjonctions, des répétitions, etc. Néanmoins, contrairement à W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec, le texte de Nathalie Sarraute n’est pas éclaté, ses éléments sont reliés, même lorsqu’ils ne sont pas en con-tact, grâce aux nombreuses reprises que l’écrivain fait de part et d’autre des points de suspension.

a. – Relier

Les points de suspension agissent dans le texte comme les silences en musique. Ce sont des pauses qui prolongent et exténuent à la fois ce qui précède, assurant ainsi le passage vers ce qui suit. Sarraute ajuste[2] délicatement des bribes, en même temps qu’elle crée un rythme. Pour voir comment sont reliés les bouts de texte par dessus les points de suspension, il faut examiner ce qui figure de chaque côté de la pause. Voici quelques raccords : « un gros livre relié… il me semble », reprise de sons ; « d’ondes… des ondes de vie », reprise d’un mot ; « de vie tout court, quel autre mot ?… de vie à l’état pur », enchaînement question–réponse et reprise d’un mot. On trouve ces liaisons à chaque suspension. Comme exemple de rythme, prenons : « des ondes de vie, de vie tout court […] jamais atteindre », où, après l’accélération de trois groupes brefs, arrive une suspension, suivie d’une nouvelle période qui ralentit le rythme de la phrase jusqu’à la prochaine suspension.

Le choix de Nathalie Sarraute montre que, malgré un travail considérable, elle refuse une écriture homogène, régulière et parfaite. Mais à côté de son texte, le beau style pa-raît figé, inerte.

4. – Conclusion

Dans une autobiographie traditionnelle, ce qu’a vécu la petite Nathalie au Jardin du Luxembourg serait considéré comme un moment faible qui ne ferait pas progresser le récit. Sarraute estime au contraire que c’est une expérience essentielle, dans la mesure où la sensation éprouvée se confond avec la vie dans ce qu’elle a de plus intense. Pour la faire resurgir, l’écrivain travaille le langage, elle rapproche la prose de la poésie. Mais elle s’arrête bien avant d’atteindre la perfection. Elle n’efface pas complètement les irrégularités, la spontanéité du premier jet, le jaillissement involontaire des images. Les hésitations du moment où tous les choix restent encore possibles, où le texte n’est pas définitivement arrêté, sont précieuses. Elles font vibrer le texte, cette vibration en fait un équivalent de la vie.

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