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Baudelaire - Don Juan aux Enfers

Par   •  23 Octobre 2017  •  4 660 Mots (19 Pages)  •  1 196 Vues

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II/ L'enfer Baudelairien

1- Le spleen comme châtiment éternel : une temporalité indéfinie

La notion de châtiment est au cœur du mythe de Dom Juan depuis son origine. Ce châtiment est naturellement donc au cœur du poème. Mais ici, Don Juan semble davantage en proie à l'univers du spleen. Le spleen est une aspiration vers le bas dans l'œuvre de Baudelaire. Le premier vers propose bien avec redondance dans un pléonasme cette idée de chute vers le spleen : « descendit / souterraine » sont bien des termes qui reprennent en un seul vers la même idée. La réitération (répétition) de sonorités nasales dans la première strophe, notamment l'assonance en on, avec sa connotation caverneuse, suggère l'enfoncement lent mais irréversible vers le monde d'en-bas. Le titre nous invite ainsi à suivre non pas Don Juan dans sa descente aux enfers mais bien « aux Enfers ». Sa présence en ce lieu est ainsi explicite. Mais quel serait donc le châtiment de ce pécheur impénitent? Molière le fait périr aspiré par la terre, frappé par le tonnerre et brulé d'un feu intérieur. L'enfer Baudelairien, s'il correspond bien à l'issue punitive qui attend Don Juan dans le mythe, est profondément marqué de l'empreinte de son auteur. Il s'agit davantage d'une attente éternelle, de ce sentiment horrible de Spleen dévorant, de l'Ennui. En effet, l'auteur de « Spleen et Idéal » confronte le personnage littéraire du séducteur à son propre enfer spleenétique. L’« onde » est un terme poétique qualifiant traditionnellement la mer ou l’océan, parfois un fleuve, comme c’est le cas ici, mais le terme reste vague. Le cadre reste flou. La fin du poème s'achève sans pour autant terminer le parcours du personnage, qui continue de « regard[er] le sillage » : il avance, et il n’est nullement question d’un quelconque point d’arrivée (à moins que ce point d’arrivée soit le poème suivant : « Châtiment de l’orgueil » de Don Juan… on sait que Baudelaire avait attaché un soin particulier à l’enchaînement des poèmes). L'eternité serait donc l'enfer Baudelairien qui attend Don Juan. Ce sentiment est renforcé par le flou temporel entretenu tout au long du poème. Les mouvements nombreux dans le poème (« descendit », « eut donné », « aviron » terme qui induit bien un déplacement, « coupait le flot » « sillage » qui renvoie à la trace d'un déplacement dans l'eau) contrastent en effet au calme de Don Juan statique. Le personnage semble avancer dans un temps qui s’est arrêté, et n’aboutira donc jamais à rien. Nous retrouvons là toute la mélancolie, la noirceur, « le spleen » de Baudelaire, poète se vivant comme maudit, rejeté et incompris. Nous voyons donc que Baudelaire plonge Don Juan dans un Enfer qui semble bien personnelle et s'écarte du mythe pour nous en dire plus de sa propre représentation du poète que de Don Juan même.

2. Un monde à l'envers, la chute des valeurs

L'Enfer dans lequel Don Juan est plongé et dominé par le vice et la corruption. Baudelaire opère même un véritable renversement des valeurs. Le mendiant, souvenir de l'ermite franciscain de Molière semble bien loin de la mansuétude de l'homme d'Eglise. Il est ici animé par un sentiment coupable de vengeance. Il n'est plus un homme de paix retiré du monde. La seconde hémistiche du vers 3 décrit « l'œil fier comme Antisthène ». La synecdoque de l'œil, pour désigner le mendiant, ne retient de lui qu'un organe complété par « un bras » au vers suivant. Ce morcellement du corps, vision infernal et monstrueuse, désincarne le personnage. Il est a noté que ces mentions corporelles sont aussitôt complétées par une notion comportementale : « fier », « vengeur » sont en effet des caractéristiques morales et non physiques. Ces termes ont en commun de présenter de l'ermite un visage bien éloignée de celle du saint homme. La comparaison à Antisthène n'est guère valorisante : Antisthène, philosophe Grec, condamnait le luxe et le confort de la civilisation, dont il prônait le détachement complet, et exaltait les travaux pénibles, de façon à parvenir à la véritable sagesse. Son fameux disciple, Diogène, poursuivra sa réflexion philosophique. Pourtant, Socrate reprochait à Antisthène son orgueil. Baudelaire fait donc le choix d'attribuer des vices et des défauts à l'un des plus vertueux personnage du mythe relayé par Molière. Ce mendiant est animé d'un désir personnel qui vient d'ailleurs contrôler et même dominer son corps puisqu'il le caractérise. Le complément circonstanciel de manière, « d'un bras vengeur et fort » est en effet antéposé au verbe qu'il complète ce qui souligne bien la primauté de ce trait de comportement : Baudelaire, bien sur, nous fait ainsi comprendre implicitement que Don Juan a fait se dresser contre lui même les plus vertueux ce qui met donc bien en valeur sa culpabilité. Mais cette revanche des faibles de la fable d'origine montre que les valeurs se trouvent inversées dans cet enfer et que les tenants de la vertu s'avèrent aussi cruels et viciés que ceux qu'ils étaient sensés combattre. Baudelaire détourne donc le modèle théologique de compassion et de pardon et se montre tout aussi impertinent que Molière en son temps. Don Juan est un libertin mais ses auteurs ont bien souvent revendiqué à travers lui leur goût de la liberté. De plus ce « bras vengeur et fort » raisonne d'échos Cornélien. En effet, il réfère au père de Rodrigue dans le Cid de Corneille évoquant « un bras, qui tant de fois a sauvé cet empire ». Cet intertexte, plutôt qu'une respectueuse référence classique peut être lu comme un trait burlesque, Baudelaire montrant le grotesque de ce personnage comme il va le faire par la suite. La superbe des héros cornéliens du 17ème siècle ne perdure pas dans cet enfer spleenétique, il n'en reste que des ridicules. La figure paternelle ne s'en tire pas mieux dans le poème et se voit également pervertie par Baudelaire. En effet, Don Luis apparaît dans toute la faiblesse de son age. S'il montre aux autres personnages de cet Enfer le comportement coupable de son fils, son discours est bien vide et sans conséquence. Il paraît même avoir peur de son propre fils comme l'indique son "doigt tremblant". Le verbe "railla" qui évoque l'insulte faite par Don Juan à son père montre bien que le père n'est qu'un vieillard qui n'a plus de prises sur son fils. Il ne semble pas plus respectable

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