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Pensez vous que les valets, dans la littérature du XVIIIeme siècle, pourraient dire à leur maître , comme Jacques le Fataliste : "il est convenu que vous vous appelleriez mon maître , et que c'est moi qui serais le vôtre" ?

Par   •  5 Juillet 2018  •  5 662 Mots (23 Pages)  •  787 Vues

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l’auteur doit ensuite appliquer les relations conventionnelles de l’époque. De par son éducation et son origine sociale, le maître peut conserver toute sa supériorité sur son valet.

Le maitre dispose a priori d’une supériorité intellectuelle, langagière grâce à sa formation et son statut social. Par exemple, Jacques le Fataliste ne semble pas avoir reçu d’éducation, ses seules références étant des aventure personnelles, des anecdotes ou des dictons. Cette hiérarchie est particulièrement remarquable dans Le Jeu de l’amour et du hasard, où une inversion des rôles et un déguisement en conséquence ne suffit pas pour masquer l’origine sociale des maîtres et des valets. Sylvia et Dorante, dans la peau de leur valet, maîtrisent un langage nuancé et raffiné, nourris de sous-entendus, de double langage et de références. Les nuances de la passion y sont finement retranscrits, provoquant la surprise des faux valets : « Quel homme pour un valet ! ». En effet, du côté des valets, les discours sans retenue, la fantaisie cocasse , les jurons et expressions populaires trahissent l’origine des prétendus maîtres : « Cher joujou de mon âme ! cela me réjouit comme du vin délicieux ! » ; « Tout sera bon dans cet homme là ! ». Marivaux exprime une forme de déterminisme social : maîtres et valets sont incapables de se mélanger, et voués à rester ce qu’ils sont, dominants ou dominés.

La supériorité du maître est aussi plus directe: celui-ci a le droit d’être violent avec son valet si ce dernier a failli à sa tâche. Les fameuses scènes farcesques du « coup de bâton » ont évolué au XVIIIe siècle, mais sont encore très présentes. Crispin s’ouvre sur les insultes de Valère : « Ah te voilà, bourreau ! ». Arlequin échappe au gourdin d’Iphicrate dans L’île des esclaves : «Trivelin : Arrêtez que voulez vous faire? »  « Iphicrate : Punir l’insolence de mon esclave. ». Le maître de Jacques lui donne des ordres : « Tais-toi » ; « Descendez ! ». Le maître est vouvoyé, le valet tutoyé. On peut remarquer que le maître peut imposer ce qu’il souhaite à son valet, s’il doute de son respect.

En effet, le valet se doit d’être loyal envers son maître. Il est dépendant financièrement, attendant les gages que le maître peut décider de lui octroyer. Le valet est nourri, blanchi et logé par son maître ; il lui est donc redevable et lui doit fidélité et dévouement. Il exécute les tâches demandées par son maître et doit l’accompagner dans ses entreprises (c’est le cas de Crispin, Jacques ou encore Figaro). De plus, le valet travaille parfois dans une seule maison toute sa vie, au service de la même famille. C’est le cas d’Arlequin dans l’Ile des esclaves : « Tu es né, tu as été élevé avec moi dans la maison de mon père ; le tien y est encore ». Le valet semble donc condamné à servir son maître sans se poser de questions, car celui-ci le domine socialement et intellectuellement. En restant attaché à une famille ou à un maître et en lui obéissant loyalement, le valet n’est pas considéré par son supérieur comme un individu mais devient un outil, c’est ce qu’Hegel appellera la phase d’objectivation dans sa dialectique du maitre et de l’esclave.

Le valet n’est même plus considéré par son maître. Son individualité est réduite par son dominateur à une fonction pratique. Le valet devient donc un objet aux yeux de son maître.

Cette notion est très présente dans quasiment toutes les oeuvres étudiées. Jacques doit par exemple récupérer la montre de son maître qu’il a oublié dans une auberge. En plus de réparer les erreurs du maître, le valet est menacé du fait de sa lenteur. Le maitre enrage, se moquant de la dévotion de Jacques : « où est-il ? que fait-il ? Oh, c’est certain, je le rouerai de coups ! ». Le maître se plaint de Jacques comme s’il se plaignait de matériel défectueux.

Lisette, dans Le Jeu de l’amour et du hasard se retrouve dans un jeu de rôle qui la dépasse. Elle pense en effet séduire un honnête-homme, alors que celui-ci n’est qu’Arlequin avec les vêtements de son maître. La femme de chambre a accepté de rentrer dans le jeu de sa maîtresse, mais se fait instrumentaliser avec amusement par Monsieur Orgon : « Monsieur, prenez-y garde, jusqu’ici je n’ai pas aidé à mes appas, je les ai laissé faire tous seuls : si je m’en mêle, je la renverse, il n’y aura plus de remède »  « Renverse, ravage, brûle, enfin épouse, je te le permets si tu le peux. » La conversation est cordiale et amusante, mais elle dénote une fait important : Monsieur Orgon ne s’est jamais demandé si Lisette pouvait être en proie à une forte déception, au moment de la révélation du jeu de rôles.

Mais l’oeuvre la plus explicite de l’objectivation reste L’île des esclaves. Les deux valets, Cléanthis et Arlequin, peuvent tous les deux dire ce qu’ils sont sur le coeur, du fait de la condition nouvelle dont ils jouissent sur l’île. Arlequin prouve explicitement que son maître refuse de le considérer comme un réel individu, en ne l’appelant pas par son prénom mais par des interjections : « je n’ai que des sobriquets qu’il m’a donnés ; il m’appelle quelquefois Arlequin, quelquefois Hé. » Cléanthis dispose aussi de son lot de sobriquets, nettement plus violents s’il en est « J’en ai une liste : Sotte, Ridicule, Bête, Butorde, Imbécile… ». De plus, l’objectivation du valet atteint son paroxysme dans une stratégie de séduction de sa maîtresse, Euphrosine : « Continuez, folâtre, continuez », dîtes-vous , en ôtant vos gants sous prétexte de m’en demander d’autres. ». En plus d’affirmer son statut de maîtresse, Euphrosine se sert de Cléanthis comme d’un instrument au sein de son entreprise de séduction. Le valet en est réduit à un statut d’objet, perdant tout reconnaissance de la part de la personne qu’il sert.

Les conventions, les codes offrent à l’oeuvre un cadre où une hiérarchie précise se développe, mettant en scène un maître dominateur grâce à sa condition sociale, sa culture, son langage et reconnu par un valet qui ne jouit pas d’une reconnaissance réciproque, allant jusqu’à l’objectivation. Cependant, le maître a besoin de son valet pour être reconnu en tant que tel.

La situation initiale, avec une lutte des consciences entre les deux personnages, dont le vainqueur (le reconnu) est le maître, se retourne peu à peu. En effet, le maître devient dépendant du travail de son valet, ce dernier étant le seul à être actif et à avoir un contact avec la nature. Ce travail va lui permettre de petit à petit s’opposer à celui qui le

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